Breakfast avec Le repas dominical
Entretien avec Céline Devaux, réalisatrice de Le repas dominical
Comment vous est venue l’inspiration et comment avez-vous écrit les dialogues pour Le repas dominical ?
J’ai voulu écrire un film sur le moment où l’on devient un adulte parmi les adultes en famille. Et où l’affection que l’on porte à ses parents doit coexister avec nos opinions. J’ai écrit les dialogues d’abord sous forme de comédie musicale. Puis c’est devenu une voix off au fur et à mesure de la fabrication du film.
Comment avez-vous travaillé l’animation dans Le repas dominical ? Quels effets étaient primordiaux par rapport à l’ensemble ?
Le décalage entre le propos de la voix off et l’image. Je me dis toujours qu’il faut éviter la littéralité. Les gens ne sont pas des crétins, si la voix dit quelque chose, alors il ne faut pas leur montrer une image totalement correspondante à l’écran.
Le « repas de famille », peut-il être considéré comme un rituel ? De manière générale, pensez-vous que des rites culturels peuvent apporter à la construction de soi ou sont-ils plutôt des faux-semblants ?
Je ne sais pas s’il s’agit d’un rituel. Je pense qu’il peut s’agir d’une solution bien intentionnée à une peur compréhensible : celle de perdre le contact avec ses enfants, ou avec ses proches en général. Si l’on dispose de raisons très factuelles pour haïr sa famille, alors se retrouver pour le repas du dimanche, ce n’est plus du faux-semblant, mais quelque chose de très grave, de très douloureux. Si on les aime en ayant un peu cessé de les comprendre, comme Jean, alors il s’agit juste d’un geste d’amour. Cela peut aider à la construction de soi parce que cela oblige à rester tolérant, généreux.
Êtes-vous intéressée par la répétition du quotidien, l’immobilisme, le questionnement des routines et des schémas sociaux ?
Le schéma social est un drôle de terme parce qu’il ne s’applique pas à tout le monde. Selon la culture, la langue, l’appartenance sociale, on ne va pas disposer de mêmes schémas. Ce qui est intéressant, c’est d’essayer d’en retirer l’émotion qu’ils provoquent : l’angoisse, la colère, qui elles, sont des thèmes universels.
Êtes-vous intéressée par la thématique des relations parent-enfant et pensez-vous réaliser d’autres films autour de cette question ?
La famille est un trou sans fond. On ne peut pas y échapper, dans la vie comme à l’écriture. On vit à défaut de famille, malgré sa famille, grâce à sa famille. Si on ne les aime pas, il faut se justifier, si on les aime trop aussi. C’est passionnant.
Comment avez-vous écrit les personnages adultes et quel effet vouliez-vous donner à voir avec leur présence ? Auraient-ils pu être absents à l’image ?
Les “adultes », ce sont ceux qui seront toujours plus vieux que moi. Certaines personnes âgées de 80 ans disent « les petits vieux » en parlant de ceux qui ont 90 ans. Ce sont ceux qu’on essaie de comprendre en tentant de ne pas les juger avec les critères de notre âge, de notre génération, de la vie qu’on souhaite mener. Il était important pour moi de les montrer, car ils existent aussi à travers l’image que l’on se fait d’eux : aujourd’hui, et dans leur jeunesse.
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Comment avez-vous conçu le personnage de la mère et sa force intérieure ? Considérez-vous plutôt ce personnage comme une femme libérée ou dominatrice ?
La mère est une héroïne blessée, je l’aime de tout mon cœur. Elle croit qu’elle a perdu sa force parce qu’elle a perdu sa beauté, mais en fait, c’est une reine. Elle est complètement larguée en revanche, elle aime son fils et heureusement qu’il le sait parce qu’elle raconte vraiment n’importe quoi.
Êtes-vous sensible à la thématique des « limites » de l’intimité entre parents et enfants ou entre frères et sœurs : où les placer et faut-il les respecter ?
C’est une thématique extrêmement sensible. Pour être honnête je crois que j’en ai peur. Je trouve que le cinéma s’en occupe beaucoup, et parfois pas très bien, du coup on se retrouve dans cette situation de spectateur extrêmement gênante, où la morale de l’auteur entre en jeu.
Qu’est-ce que le rapport à l’homosexualité, traitée dans Le repas dominical, ajoutait à l’ensemble ?
Il s’agissait simplement de sexualité. Vous parliez de l’intimité entre parents et enfants. La vie sexuelle, c’est la dernière barrière. Même dans les familles les plus ouvertes, il est assez rare de parler de positions et de partager son ressenti sur une expérience sexuelle avec ses parents, ou alors il s’agit d’un parti pris. L’homosexualité, c’est l’essence de cette barrière là. Jean est résolument adulte, et en plus avec une vie sexuelle qui ne souffre aucune possibilité de mimétisme avec celle de ses parents.
Pensez-vous que la fuite soit une solution préférable à la revendication, au conflit ?
Je ne le pense pas. Je pense en revanche que beaucoup de conflits familiaux viennent de l’impossibilité de dépasser ce désir de mimétisme. Habitués à être identiques, venant d’une même cellule, on cherche parfois à projeter nos désirs et opinions sur nos proches. Il est difficile d’accepter qu’ils ne les partagent pas, et peut-être que c’est lorsqu’on y parvient que l’on devient vraiment adulte.
Pourquoi avoir choisi de placer vos convives autour de cette table, plutôt qu’une table basse ou une table en U, par exemple ?
Parce qu’on a faim quand on a la gueule de bois ! Et puis c’est très compliqué à dessiner, une table en U, vous êtes drôle.
Comment votre famille a-t-elle accueilli le film ?!
Très bien. Je savais en écrivant que je n’étais pas à un niveau autobiographique littéral, ils le savaient aussi, ils ont bien rigolé.
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner la cellule familiale et la « méga » cellule sociétale ?
Oui, absolument ! On est obligé d’aller à l’essentiel, savoir ce qu’on veut vraiment raconter, ce qu’on pense être juste. En revanche, on ne peut pas obtenir la même largesse dans les personnages, les sentiments, qu’en long métrage, évidemment.
Le repas dominical a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français » : rattaché des références cinématographiques, construit un contexte spécifique (dans une région par exemple) ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?
Le repas dominical a été réalisé avec la maison de production Sacrebleu. Il a été soutenu par le CNC, Arte et la Mission Paris Cinéma. Il est ancré dans une identité française, certainement – des références dans les dialogues, le train de banlieue, etc. Mais l’idée était aussi d’utiliser des éléments qui auraient pu être fondateurs de la narration – l’appartenance sociale, l’homosexualité – et de ne pas leur donner une place déterminante. Je voulais que ces histoires d’appartenance se perdent dans un propos plus large, et essayer d’être un peu plus universelle dans mon propos.
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Pour voir Le repas dominical, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F12.