Breakfast avec L’ours noir
Entretien avec Méryl Fortunat Rossi, co-réalisateur de L’ours noir
Comment vous est venue l’idée d’écrire L’ours noir ?
C’est la sœur de Xavier Seron (co-réalisateur) qui est revenue d’un voyage au Québec avec le guide du Parc National Forillon, un parc où l’on peut observer des ours noirs. Il y a vraiment des règles strictes à respecter dans ce guide. Les consignes du film sont authentiques et les vaporisateurs chasse-ours existent vraiment !
Aimez-vous particulièrement l’absurde et l’humour noir ? Avez-vous une préférence entre les deux ?
C’est vrai que ce sont deux notions que nous aimons tout particulièrement, nous essayons toujours de faire rire en dehors des sentiers battus.
Notre premier film (Mauvaise lune) en duo était un faux documentaire, une ode à l’humour noir à propos d’un alcoolique persuadé d’être un loup-garou. Ce film, c’est un peu le cousin consanguin de C’est arrivé près de chez vous.
Pour revenir à L’ours noir, on a plutôt été puiser dans des inspirations anglo-saxonnes. La meilleure référence serait Sacré Graal des Monty Python. Nous sommes ici dans un univers absurde. On voulait mélanger le gore et la comédie aussi. Il y a un coté très bricolé dans le film, une sorte d’hommage à des films comme Bad Taste de Peter Jackson. On n’a pas pensé les effets spéciaux pour qu’ils soient crédibles mais comiques avec le charme du home made.
Pourquoi avez-vous choisi une voix off canadienne ?
La voix off québécoise vient de l’idée de départ, un faux film de prévention didactique, comme un film d’entreprise… L’action est supposée se passer au Québec donc ça devait être une voix québécoise. On l’a gardé même si le scénario s’est transformé. Au final, nous avons conservé le côté pédagogique mais cette voix s’amuse des visiteurs en ne leur donnant pas les bonnes clés au bon moment. Nos personnages sont comme des petits élèves qui vont être punis pour ne pas avoir étudié le guide avant d’entrer dans la forêt. La voix-off canadienne, c’était une manière pour nous, les réalisateurs, de s’amuser avec les accents québécois et belges…
Pourquoi dès le départ avez-vous positionné vos personnages dans l’exagération et créé ainsi un détachement ?
On est dans l’exagération, mais pas tant que ça. C’est sûr qu’on frôle la caricature mais c’est pour mieux nous moquer de nous-mêmes, nous, les citadins qui allons dans la Nature comme on va Disneyland. Nous, qui connaissons mieux les logos des marques que les feuilles des arbres…
.
Et pourquoi un mariage homosexuel comme point de départ ?
Lorsque que l’on s’est finalement décidé à écrire le scénario, nous étions en pleine manifestation contre le mariage pour tous.
Cette polémique française nous a marqués car en Belgique, il n’y a eu aucun de problème lorsque la loi est passée, ni dans d’autres pays où elle avait déjà été acceptée.
Les grandes lignes du scénario, le profil des cinq randonneurs ont été écrit en une après-midi et nous avons eu le désir d’ancrer le film dans l’actualité, une sorte de clin d’œil. Et puis l’humour, le rire n’en est que plus savoureux quand on touche à quelque chose de réel, lorsqu’on critique, même un tant soit peu, la société. Il n’y a qu’à revoir les films de Chaplin, Billy Wilder… Si l’ours noir ne faisait simplement qu’arracher des bras, ça marcherait moins.
Êtes-vous intéressés par la thématique de la Nature et de sa relation avec l’Humain ?
C’est assez récurrent pour Xavier et moi, oui. On se pose la question de l’animal qui sommeille nous. D’ailleurs, on filme nos acteurs de manière assez crue, avec une animalité prononcée (c’est très vrai dans notre premier court Mauvaise lune mais aussi dans le prochain, Le plombier). Nous sommes tous des animaux mais l’homme a perdu son côté instinctif, c’est une autre critique sous-jacente de l’ours.
Quand on a écrit le personnage qui meurt en faisant un selfie, c’était juste une blague, presque too much, plus tard on a appris qu’il y avait réellement des parcs américains qui avaient dû fermer à cause de ça ! L’année dernière, il y a eu plus de personnes mortes par selfies que mordues par des requins.
Prendre comme personnage principal un nounours géant, c’était une manière de dire que nous voyons souvent la nature avec les yeux de notre enfance, un peu comme dans les pubs Herta ou Cajoline… C’est pour le coup très caricatural mais ces histoires de selfies nous obligent à penser que bon nombre de randonneurs voient d’abord la peluche innocente, celle qui donne envie de faire un câlin avant de voir un ours prédateur. Finalement, on n’exagère pas tant que ça.
Trouvez-vous intéressante la question d’une Nature maîtrisée, une forêt sans ours ni loup ni serpent… finalement, faite pour l’Humain ?
Oui, justement. Aujourd’hui tout doit être mignon, joli, ne pas heurter. On mange des steaks sous cellophane et l’idée de tuer la bête nous dégoûte.
Personnellement, je mange de la viande, je vais à la pêche mais j’ai besoin de comprendre l’implication de mes actes. Avec Xavier, nous étions également interpelés par ces gens qui paient pour aller voir les pingouins en Antarctique… Ils vont sur des ferries, c’est du tourisme de masse dénué de sens. Ils vont dans la nature « sauvage », dans ces décors de cartes postales qui nous font penser aux belles aventures vues dans les films ou la littérature, on y vient une journée, une paire d’heures, on fait la photo et on s’en va.
En fait, en répondant à vos questions, je parle de tout ça, la Nature, l’Homme comme si on avait de grandes IDÉES (ou pire, un message à transmettre) mais le film reste avant tout une farce… on force le trait plus qu’on ne critique.
Avez-vous une connaissance particulière des ours ?
Non, aucune. On a juste potassé le guide du Parc. Ceci dit, si on nous mettait là maintenant dans un parc avec un ours, nous ne serions sans doute pas beaucoup plus avertis que nos personnages. Dans le film, nous n’avons gardé que des règles simples à retenir, mais la vérité est beaucoup plus complexe. Quand, dans le film, la voix-off conseille de monter aux arbres, c’est un conseil du guide mais le guide dit aussi que les ours monte aux arbres… et c’est comme ça dans tout le manuel : incompréhensible… l’ours bouge l’oreille, il est copain, là il remue le museau, ne bougez-pas, il montre les dents courez… Bref, tu cours.
.
Pourquoi avez-vous ajouté un chien dans l’histoire ? Qu’est-ce que le rapport à l’animal domestique changeait ou ajoutait ?
Un chien, c’est toujours drôle, surtout lorsqu’il court avec un bras arraché au bout de sa laisse ou qu’on l’éclate sur un pare-brise. À la base, le personnage joué par François Neycken devait être obligé d’emporter le chien de sa mère (un bouledogue français). On voulait que ce soit un vrai chien d’appartement pour marquer un peu plus la différence avec l’ours sauvage ! Le petit chien à sa mémère s’en fout du grand air et des longues randonnées, c’est d’ailleurs pour ça qu’au tout début du film, Radis refuse d’avancer. Après pour le besoin du dressage, nous avons dû changer de race de chien. Ce n’est plus tout à fait la caricature que nous avions imaginée sans vouloir offenser Radis, qui a été une actrice formidable.
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner la cellule « familiale » et la « méga » cellule sociétale ?
Je ne me pose pas la question directement. On fait du court pour apprendre son métier mais aussi et surtout pour s’éclater. Un court métrage, même quand il cartonne reste visible par un public restreint. Je dirais plutôt que l’on peut observer « le court métrage » d’un point de vue sociologique. Les sélectionneurs en savent quelque chose, il y a chaque année un ou des thèmes que l’on retrouve par pays. Par exemple, les espagnols qui sont des aficionados de films de genre, ont énormément abordé la problématique de la crise économique par la fenêtre du film apocalyptique. On pourrait aussi dire que le court métrage absorbe plus rapidement l’humeur d’une société qu’un long métrage, simplement parce qu’il est généralement plus rapide à produire, ça permet de voir venir une tendance.
L’ours noir a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français » : rattaché des références cinématographiques, construit un contexte spécifique ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?
C’est une coproduction franco-belge, Xavier est belge et moi je suis français résidant en Belgique. L’ours noir, même avec son scénario absurde, n’en reste pas moins un film très complexe à produire car très onéreux. Du coup, la co-producton devient une nécessité. C’est comme ça qu’Origine Films est rentré dans l’aventure. Ils ont quand même réussi le tour de force de vendre notre histoire de nounours qui décapite des touristes à ARTE ! Et puis on a eu les soutiens de la Région Champagne-Ardennes que nous avons pris pour décor (du côté de Monthermé) et de la Région Rhône-Alpes, où nous avons entre autres réalisé la post-production.
.
Pour voir L’ours noir, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F9.