Lunch avec Det Sjunkne Kloster (Le couvent englouti)
Entretien avec Michael Panduro, réalisateur de Det Sjunkne Kloster (Le couvent englouti)
Comment vous est venue l’inspiration pour Det Sjunkne Kloster ?
Ce qui m’a inspiré, c’est un sentiment de désir et de désespoir, qui m’est venu en lisant un conte de Hans Christian Andersen (qui était à la base un conte allemand écrit par Gottschalk). C’est l’histoire d’un amour voué à l’échec et d’un manque de compassion institutionnel, qui met en scène un chevalier, qui retire son amour mort d’un lac afin d’être avec elle pour une heure chaque nuit. L’idée de ne pas réussir à dépasser la mort d’un amour me semblait particulièrement triste, et je me suis demandé “Et si l’homme continuait à faire ça encore 50 ans après ?”. À partir de là, ça a évolué en une histoire sur les mauvaises habitudes de manière plus générale, et sur comment on s’enferme à répéter des motifs comportementaux illogiques.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la question de la scarification ?
J’aime travailler avec l’imagerie grotesque et avec l’utilisation des idées symboliques pour les mettre en scène de manière très réaliste et physique. Laisser le personnage (si on peut l’appeler comme ça) fondre son corps avec celui d’un soldat de plomb a plusieurs objectifs pour le film, et reflète les rituels sans âge d’automutilation. C’est une manière de s’endurcir par rapport au monde extérieur. Ajouter un revêtement de métal à ce personnage, c’est refléter l’armure du chevalier, et lui façonner un bouclier contre les autres. Il agit aussi ainsi pour se rendre lourd (d’où le plomb de pêcheur) dans un monde qui avance de plus en plus vite. Le métal injecté dans son corps peut aussi être le reflet des multiples métaux et additifs néfastes que nous consommons de manière éhontée, en petites quantités chaque jour, tous les jours. J’espère que c’est une séquence qui marque un profond basculement dans l’histoire et crée un certain degré de malaise pour le spectateur.
Comment avez-vous constitué les sons ?
Nous avons enregistré autant de sons en studio que possible, mais le reste est purement issu de l’imaginaire et du travail du concepteur sonore Sune Kaarsberg. Nous avons beaucoup parlé de l’ambiance sonore, qui illustre le plus gros challenge dans le film : comment faire un film statique à propos d’un homme enfermé dans sa routine quotidienne, sans faire un film très très ennuyeux ? Le film n’a ni dialogue ni musique, alors son design sonore a beaucoup de poids. Je pense que Sune a fait un travail exceptionnel en jaugeant chaque élément parfaitement et en créant tous ces petits détails qui donnent l’ambiance voulue.
Qu’est-ce que la grenouille vous évoquait ? Pourquoi n’avoir pas opté pour un autre animal ?
Le film a de nombreuses références avec les contes de fées, et la grenouille en fait partie. À la fin du film, vous pouvez arguer que l’homme est pris dans un monde imaginaire de son propre esprit (un monde qui porte encore de l’espoir, celui qu’il retrouve son ancien amour). Ce glissement de la réalité à un monde de fantaisie arrive graduellement, mais la grenouille est son dernier portail et catalyseur. Littéralement, l’homme trouve le fil rouge, attaché à son ancien amour, à travers la grenouille, qui est sacrifiée de manière très brutale. La grenouille est aussi reliée au fait que tout ceci n’est peut-être qu’une illusion, comme on connaît ces histoires de personnes qui embrassent des grenouilles et se mettent à avoir des visions délirantes. Donc pour moi, la grenouille est lourde de significations et est un symbole de plusieurs possibilités d’interprétations. C’est pour ça que je l’ai choisie.
Le film plonge dans le surréalisme, qu’est-ce qui vous intéressait dans cet aspect ?
Les films ont un grand potentiel de création de mondes et réalités confuses, mixées. J’aime l’idée de raconter des histoires et des réalités dans lesquelles le public ne sait pas trop à quoi s’attendre. Cela peut ressembler à notre monde réel, mais quelque chose gêne. Un film comme celui-là est très symbolique dans sa nature et travaille plus avec la logique d’association que celle de cause à effet. Les petits éléments surréalistes permettent ce type de narration, où les personnages agissent presque comme des composants dans une installation, plutôt que comme des individus motivés par des émotions.
Quels ont été vos films coups de cœur au cinéma cette année ?
Le film d’Amat Escalante The Untame a probablement été mon film préféré l’an passé. Un mélange fantastique de drame réaliste et de film de monstres palpables avec de grands effets spéciaux, et éblouissant cinématographiquement. J’ai trouvé Swiss Army Man stupéfiant et extrêmement inspirant dans le fait que ce soit un film qu’il ne devrait pas être possible de faire. Mais ils l’ont fait, avec aussi tous les clips faits en amont, les deux Daniel ont prouvé qu’ils sont parmi les réalisateurs les plus captivants du panorama actuel. J’ai aussi adoré Nina Forever, qui montrait à quel point un simple postulat peut servir à une multitude d’associations en termes de sujets et de directions. Hyper inspirant pour quelqu’un qui travaille avec de très petits budgets comme moi.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Ce sera ma première fois, mais je n’ai eu que de bons échos, et j’attends de découvrir le festival et de voir mon film avec ce public.
D’autres projections du film sont-elles prévues ?
On a une poignée de projections à venir pour Det Sjunkne Kloster dans les deux prochains moins, et on verra ensuite où on va. J’ai aussi réalisé un documentaire – captation de concert qui sort en avril, à propos du groupe Suédois de grindcore Nasum.
Pour voir Det Sjunkne Kloster, rendez-vous aux séances de la Compétition Labo L2.