Lunch avec Disillusioned (Désabusé)
Entretien avec Kyuho Sim, réalisateur de Disillusioned (Désabusé)
Le personnage principal a quitté la ville pour vivre à la campagne, qui se révèle être une terre d’étrangeté voire de danger. Comment en êtes-vous venu à faire un film sur ce sujet et sur ce protagoniste ?
Quand j’ai écrit le premier jet, en janvier 2017, je me sentais angoissé et j’avais peur de vivre dans ce monde. J’ai alors décidé, ne serait-ce que pour un petit moment, de fuir la ville et de vivre à la campagne, comme le personnage principal de mon film. Malheureusement, mon stress n’a pas baissé et ça me rendait malade. Je n’avais aucune envie de tourner un film. Le seul moyen que j’ai trouvé pour mettre de l’ordre dans mes émotions, c’était d’écrire un scénario. Suite à cette expérience, je me suis inscrit en master et j’ai eu la chance de pouvoir porter ce scénario à l’écran. Comme ce film était une production bien plus importante que tout ce que j’avais pu faire auparavant, cela aura pris deux ans, à partir du moment où j’ai entamé l’écriture, pour le tourner.
Comment vous y êtes-vous pris pour faire planer cette atmosphère de mystère tout au long du film ?
À mon avis, le mystère vient de l’espace qu’on créé afin de permettre aux spectateurs de réfléchir au film. Au lieu de combler 100% des trous, je voulais laisser la possibilité aux spectateurs de créer le film par eux-mêmes au cours de leur visionnage. Des répliques et actions des personnages aux effets sonores et à la colorimétrie, j’ai fait preuve de modération afin de jamais en faire trop. Le rendu visuel du film est inspiré des décors que j’ai vus pendant mon séjour à la campagne, avec un soupçon de bidouillages imaginatifs.
Qu’est-ce qui vous a posé le plus de problème, au final, lors de la production de Disillusioned, et pourquoi ?
Le film s’ouvre sur un lever de soleil et se clôt sur un coucher de soleil. Ces deux moments sont importants mais il y avait très peu de temps pour les filmer sur une journée. On a dû se lever avant l’aube tous les jours, pour tourner et retourner la même scène, encore et encore. De même, pour pouvoir filmer la scène où le soleil se couche, il a fallu qu’on répète de très nombreuses fois afin de pouvoir la réussir en temps réel. Le souci, c’est qu’à quatre heures du matin, le soleil n’est pas encore sorti et on n’y voit rien. Dans ces conditions, il fallait que j’aille dans l’eau tous les jours où on tournait, ce qui limite la liberté de mouvement et rend le tournage beaucoup plus lent. Travailler constamment dans l’urgence était épuisant mentalement et tourner dans l’eau était assez difficile physiquement. Même une fois le tournage fini, il m’arrivait de parler en dormant et de me réveiller brusquement pour remettre la main sur mon story-board. Il y a même eu un moment où je dormais dans le métro et où je me suis réveillé en sursaut à la recherche de mon story-board. C’était très embarrassant. J’aurais pu recourir aux effets spéciaux numériques pour recréer ces moments en m’épargnant tout ce tracas, mais j’ai choisi de ne pas le faire, parce que je trouve que la réalité dégage une énergie bien plus forte.
Votre court n’est jamais didactique ou ne s’embarrasse jamais d’explications inutiles. Est-ce que c’est parce que vous souhaitez que les spectateurs puissent interpréter votre film comme ils le souhaitent ?
Mon film n’est pas censé être didactique ou donneur de leçons. C’est censé être un court-métrage qui exprime avec honnêteté mes angoisses et mon manque de confiance en moi, toutes les pensées et les comportements dont j’essayais de me dépêtrer seul à cette époque de ma vie. J’ai mentionné plus tôt que le film n’est pas censé tout expliquer et que je me suis dit que ce serait sympa de le laisser ouvert à l’interprétation du public, en ne donnant à celui-ci que les informations minimales. Ceci dit, j’ai intégré au film une série de pistes bien précises pour guider les réflexions du public. Par exemple, quand on se pose la question de l’identité de cet homme mystérieux, j’ai fait en sorte qu’il y ait trois réponses distinctes auxquelles les spectateurs puissent aboutir. Quelle que soit la réponse qu’on choisit, et ce même si certaines choses peuvent en être modifiées dans l’esprit des spectateurs, le sens et les thèmes généraux du film ne changent pas. La raison pour laquelle je ne montre pas ce qui se trouve dans le sac suit la même logique.
Quel est l’avenir du format court-métrage d’après vous ?
Je pense que le court-métrage a un bel avenir. Comparé au long-métrage de deux heures dont on a l’habitude, il semble que le medium court-métrage gagne en attractivité et se consomme de plus en plus. À cause du coronavirus, c’est devenu de plus en plus difficile d’aller au cinéma, mais il est plus facile que jamais de regarder du contenu en streaming sur son téléphone ou sur son ordinateur, et la brièveté des courts-métrages me semble idéalement adaptée à la vie de tous les jours.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Nous traversons une période très difficile, partout dans le monde. Regarder des films avec d’autres personnes est ce qui fait l’essence et le plaisir du cinéma. Cependant, passer du temps seul, à écouter de la musique, lire un livre, regarder un film ou suivre une diffusion peut être aussi une source de plaisir profond. Enfin, je pense qu’il serait bon de communiquer en ligne aussi librement et aussi souvent que si nous passions du temps ensemble en personne. Je pense qu’on s’en sortira tous ensemble.
Pour voir Disillusioned (Désabusé), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I2.