Breakfast avec Des(pecho)truccion
Entretien avec Maria ruiz, réalisatrice de Des(pecho)truccion
Dans Des(pecho)truccion, la séparation est montrée à travers une suite d’objets attachés à Gabriel et les deux personnages sont quasiment absents de l’écran. Pensez-vous qu’on devine un portrait de Gabriel à travers ses objets ?
Je ne pense pas qu’on puisse faire un portrait de lui complet car toutes les informations à son sujet sont données par Ella ; et même précisément : par la voix d’Ella, au milieu d’un discours de toute évidence extravagant et d’un certain sens, absurde. Le seul portrait vraiment clair qu’on puisse voir est le sien : elle est névrosée, hystérique et vraiment blessée.
Votre façon de filmer souligne l’artifice de la mise en scène (apparition des mains pour montrer le générique, etc.) et le style fait maison. Pourquoi évitez-vous le réalisme ?
Je pense que le réalisme aurait pu rendre mon histoire très dramatique. Ce n’était pas ce que je voulais : mon idée est de jouer l’auto-dérision, de rire des émotions que je ressens, en général, et de ce que j’ai ressenti en un moment particulier il y a des années.
J’essayais de renvoyer l’image d’une petite fille gâtée dramatisant beaucoup une situation qui n’est pas si extraordinaire : une rupture est quelque chose d’aussi human et banal qu’une sortie entre amis. On entend parler d’une nouvelle rupture quasiment toutes les semaines. Pour moi, c’était comme une petite fille furieuse que son jouet soit cassé. Donc, j’ai décidé de réaliser mon film dans ce style/cette esthétique fait(e) maison et enfantin(e) pour souligner cette idée.
Avez-vous conçu l’animation et l’esthétique du film dès l’écriture du scénario ou plus tard ?
C’était clair pour moi dès le départ, avant même que le script ne soit terminé. La technique de stop motion aussi mais seulement sur certaines parties du film comme pour la tour de livres dans le chapitre « Littérature », la première partie du chapitre « Sa maison » et la tour de serviettes dans « Epilogue ». Ensuite elle s’est étendue dans le film à cause du questionnement sur les écrans d’ordinateur : « Comment peut-on faire un écran fait main où les icônes bougent d’elles-mêmes sur le bureau ? ». Ma première idée-bizarre-et-compliquée pour cet effet était « faisons un système magnétique pour bouger les objets sur le bureau depuis l’arrière de l’écran ». Le Chef-Op et le Directeur Artistique m’ont demandée : » ce ne serait pas plus simple en stop motion? ». Ils avaient raison :).
Quelle est la signification de la dernière image du film ? Ella est-elle au fond toujours amoureuse de Gabriel ?
Hélas cette séquence ne se passe pas comme je l’avais écrite dans le scénario. Par ma faute, bien sûr. L’idée était que de tout ce processus de destruction-vengeance elle garde quand même quelque chose de lui, un symbole de l’histoire qu’ils ont partagée. Elle aurait dû prendre la photo et la garder, pas seulement la montrer comme on le voit dans le film.
Je pense que chaque expérience que nous avons vécue est une richesse et qu’elle laisse la trace d’un apprentissage dans notre personnalité. C’est la même émotion que j’essaie d’exprimer dans l’un de mes poèmes appelé « To get inside the wound » (« Entrer dans la blessure »). Il y a deux phrases dont la traduction serait : « Il y a toujours quelque chose ou quelqu’un qui subsiste. Il reste toujours des empreintes. » On peut tout détruire mais ce qui est passé est passé, on ne peut pas l’effacer, tu gardes au moins une cicatrice qui te le rappellera toujours.
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Propos recueillis par Ismaël Joffroy Chandoutis
Pour voir Des(pecho)truccion, rendez-vous aux séances de la Compétition Internationale I10