Lunch avec Mat et les gravitantes
Entretien avec Pauline Penichout, réalisatrice de Mat et les Gravitantes
Pourriez-vous nous expliquer le choix du titre ?
Le mot « gravitante » est un mot que nous utilisions souvent, au moment du film, pour parler de nous. Mat n’habitait pas vraiment dans le squat à cette époque, elle disait qu’elle gravitait autour, elle arpentait un squat et un autre sans avoir de logement fixe. C’est un mot dans le jargon du milieu militant nantais, très présent dans les rushes. On n’entend personne le prononcer dans le montage final, mais je l’ai gardé pour le titre. J’aimais bien aussi ce que ça pouvait évoquer poétiquement comme images ; elles sont des exploratrices, et puis l’idée de planer un peu… C’est resté comme ça.
Comment avez-vous découvert ce squat ? Les jeunes femmes ont-elles dès le départ été enthousiastes à l’idée d’être filmées et d’échanger avec vous ?
J’ai rencontré Mat par une amie commune, et elle a accepté de faire ce film avec moi dès le début. Le squat, c’est l’endroit où elle passait beaucoup de temps à cette période-là, mais finalement, il ne s’agit pas du tout d’un portrait du lieu. On a pensé l’atelier d’autogynécologie en amont avec trois ou quatre autres personnes, puis on a envoyé des SMS en cercle restreint pour inviter du monde. On a précisé qu’il y aurait une caméra, et que je filmerai seulement celle.ux qui le souhaiteraient. Dès qu’une personne arrivait à l’atelier, je lui demandais si elle était d’accord. Certain.es ont refusé d’être filmées, tout comme certaines n’ont pas voulu passer à la partie pratique d’observation. Globalement, les personnes que j’ai rencontrées à ce moment-là m’ont énormément soutenue et portée le temps du tournage. Je pense que c’est important car il y avait un vrai désir partagé, avec certain.es, de faire un film sur ces sujets-là, presque même comme un besoin. Pour nous c’était un acte militant de faire ce film.
Y a t-il des scènes et des échanges que vous avez choisi de couper ?
Bien sûr j’ai dû faire des choix au montage, et forcément se pose la question de la censure potentielle que nous pourrions exercer en tant que cinéastes sur les personnes filmées. Avec la monteuse, nous avions cela en tête en permanence, exprimer mon point de vue sur une séquence tout en laissant la parole circuler, contredire, mais avec cette manière très respectueuse de s’écouter, qui est propre aux personnes que je filmais. Le choix le plus crucial a été celui de se centrer sur l’atelier d’autogynécologie et des discussions autour du corps et de sa réappropriation, de ne pas faire un film patchwork qui balaierait trop d’autres thèmes. De même, on s’est recentrées au montage sur Mat, qui était pour moi le point de départ du film. Et puis ensuite, même à l’intérieur de ce fil-là que nous tirions, il fallait forcément couper, faire poindre les réflexions qui m’avaient marquée tout en rendant les séquences lisibles pour les personnes extérieures.
Quels sujets aimeriez-vous explorer en tant que réalisatrice ?
Mes envies de cinéma partent surtout des lieux et des personnes que j’ai envie d’aller filmer. Je suis également chef-opératrice, je crois que ce qui m’intéresse, c’est d’explorer le mystère de la présence des choses dans les images. L’exploration peut être un thème en soi ou bien le point de départ, cela peut être un voyage ou bien une exploration de quelque chose près de soi (voire en soi, comme dans mon film). En ce moment j’écris un film, j’ai pensé qu’il fallait aller trouver refuge dans la fiction. Mais il n’y a pas de « sujet », à proprement parler, il y a un désir, de filmer un décor, des personnages, et de les faire vivre à travers des images.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Je n’en ai aucune idée ! Sûrement un bon avenir puisque c’est plus rapide de faire un court métrage… ? Après, j’ai l’impression que je vois rarement des courts métrages qui peuvent me marquer aussi longtemps que des formes plus longues. Je pense que les courts métrages « longs », c’est à dire entre 30 minutes et une heure, sont souvent des durées qui permettent de traverser un film d’une manière assez agréable. Dans tous les cas si le film est beau, la durée sera juste aussi…
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous ?
Continuer d’explorer ! Je ne sais pas trop… Personnellement j’ai du mal avec la culture en virtuel, ce n’est pas pareil qu’une rencontre pour parler d’un film après l’avoir vu ensemble. Si les lieux publics sont fermés, alors ouvrons nos lieux privés et organisons chez nous des projections, des lectures… ?
Pour voir Mat et les Gravitantes, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F5.