Lunch avec Somleng Reatrey (Le Son de la nuit)
Entretien avec Chanrado Sok et Kongkea Vann, réalisateurs de Somleng Reatrey (Le Son de la nuit)
Kongkea Vann, pouvez-vous nous parler de vos influences et de la genèse de Somleng Reatrey ?
D’abord, j’ai rencontré Chanrado Sok, qui m’a suggéré de créer cette histoire, et c’est ainsi que nous nous sommes mis à l’écrire ensemble. Par ailleurs, je l’ai fait parce que j’étais fasciné par le son du bambou qu’on entendait la nuit. Ce son typique signalait à tout le quartier le passage des vendeurs de soupes de nouilles, un plat apprécié des travailleurs de nuit. Depuis l’enfance, j’ai toujours été bercé par cette coutume, mais à présent elle a presque complètement disparu, du fait de la prétendue croissance économique, qui n’empêche pas certaines personnes de connaître de grandes difficultés. Je voulais donc notamment montrer aux gens que, derrière les hauts gratte-ciels, les modes de vie ont changé dans toute notre société à cause du développement rapide de ces cinq dernières années. Le White Building, l’immeuble historique où vit Chanrado, a été laissé à l’abandon par la ville qui se précipite dans sa quête d’expansion, et la plupart des citoyens deviennent, sans s’en rendre compte, égoïstes à cause de l’argent.
Chanrado Sok, vous produisez également des documentaires, pensez-vous que ça a un effet sur votre manière de réaliser des films de fiction ?
Je ne pense que mon travail documentaire influe sur ma façon de réaliser mais il a beaucoup d’influence sur le scénario, qu’il consolide. Le scénario de cette fiction fonctionne selon les règles et la logique d’un documentaire. Quand les deux coexistent, ils nous laissent voir à quoi ressemble la réalité que dépeint la fiction. À chaque étape du script et du scénario, je me souviens de ma manière de faire un documentaire. C’est une des bases du cinéma que tout le monde devrait apprendre. Le film de fiction a une partie de documentaire en lui, et le documentaire contient aussi une part de fiction, parce que je ne peux pas réaliser de fiction entièrement détachée de la réalité documentaire. Je vis dans la réalité et cette réalité constitue un document que je ne peux ni effacer ni modifier, tandis qu’au détour d’une phrase ou d’un lien, je peux inventer et rajouter des pages sans la moindre hésitation puisque je suis celui que je veux être dans l’histoire que j’ai créée.
Kongkea Vann, c’est votre premier film en tant que réalisateur et producteur. Quelles sont les plus grandes difficultés auxquelles vous avez été confronté ?
C’est un projet à petit budget, qui exige de passer beaucoup de temps à développer d’autres compétences en tant que producteur… En fait, je suis réalisateur et directeur photo. Au Cambodge il y a peu de soutien financier de la part de sociétés de production, surtout quand il s’agit d’un projet indépendant. Je jongle entre diverses fonctions, et il y en a que je ne sais même pas par quel bout prendre. Tout bien pesé, j’ai voulu tout ça. Et j’apprends beaucoup de mes erreurs.
La note du réalisateur mentionne : « Tout son entourage poursuit la richesse sans prendre conscience qu’il s’agit d’une arme à double tranchant. » Pouvez-vous développer ?
Quelle que soit la direction qu’on donne à sa vie, ça peut en exclure ou en court-circuiter d’autres. Quand la vitesse nous jette dans une voie à sens unique, cette vitesse découpe le temps et l’espace et nous déconnecte. Elle peut déchirer une communauté, une famille, et même chacun de ses membres. Dans un environnement où tout va trop vite, il n’y a plus de temps pour garder l’équilibre entre différentes dimensions du quotidien, comme si le rythme vital laissait la place à la poursuite, coupant court à une vie paisible.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Pour moi, un bon film est celui qui donne à ceux qui le regardent l’impression d’être dedans. Il transmet au public ce que l’histoire veut montrer. Un bon film peut montrer la force et les sentiments de quelqu’un, et faire que tout le monde les partage. Il ne s’agit pas seulement de la qualité technique, il faut aussi de l’émotion, des personnages, du sentiment, une ambiance etc, surtout si le film évoque une réalité sociale ou que son scénario a un propos social – voilà ce que je considère comme un bon film.
Pour voir Somleng Reatrey(Le Son de la nuit), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I11.