Goûter avec Estilhaços (Fragments)
Entretien avec José Miguel Ribeiro, réalisateur de Estilhaços (Fragments)
Pouvez-vous nous parler de votre style d’animation ? Qu’est-ce qui vous a poussé à emprunter ce chemin ?
Je ne sais pas si j’ai un style d’animation, ce que je peux dire c’est que dans chaque film j’explore de nouveaux styles graphiques, de nouvelles techniques et de nouvelles façons de raconter une histoire. Jusque là, chaque projet est né d’une expérience personnelle avec d’autres auteurs que j’invite, mais pour celui sur lequel je travaille en ce moment, je vais le baser pour la première fois sur une histoire préexistante, créée par deux auteurs. L’animation est un domaine large où l’on peut trouver peinture, photo, littérature, sculpture, audiovisuel, musique et les faire interagir entre eux. C’est un domaine large que l’on peut explorer en toute liberté pour créer. Mes études sont parties de là, dessiner et peindre à l’école d’art de Lisbonne (ESBAL) et, depuis le début, j’étais intéressé par l’idée de dessiner la réalité de mon quotidien avec un journal que j’emportais partout. L’animation m’a permis de prolonger mon journal en des projets de cinéma.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la guerre qui est au cœur de l’histoire et vos raisons pour l’aborder ?
La guerre que je décris dans le film a commencé en 1961 avec un désir légitime des peuples africains de gagner leur indépendance, qui a été nié par le régime fasciste portugais. Les conséquences de ce conflit qui a duré 13 ans sont encore très présentes dans la société portugaise contemporaine. Les corps des soldats portugais et africains ont été les réceptacles de cette guerre. Alors, en 1974, quand le conflit a pris fin, les 900 000 soldats rentrés au Portugal ont ramené la guerre dans leurs familles et auprès de leurs amis. C’était presque 10% de la population et bien sûr, cela a influencé l’avenir. Mon père en a fait partie et une fois encore, l’histoire du film est basée sur une expérience personnelle. Avant que le stress post-traumatique ne porte un nom – ce qui n’est arrivé qu’en 1992 après une longue période d’études sur les vétérans du Vietnam aux Etats-Unis -, au Portugal, un grand nombre de familles cherchaient à résoudre un problème dont personne ne savait ce qu’il était. Et encore aujourd’hui, le gouvernement portugais ne reconnaît pas le syndrome de stress post-traumatique chez ses anciens soldats comme une blessure de guerre, ce qui rend encore plus difficile la souffrance de ces personnes et leurs familles.
[Attention Spoiler] Qu’est-ce qui vous a motivé à intégrer des éléments en prises de vues réelles au film ?
Le film explore différentes étapes de réalités basées sur la mémoire humaine. J’ai essayé de trouver et d’utiliser l’origine d’une image dans notre cerveau façon étude physique (en animation dessinée, stop-motion et prises de vue réelles) comme des formes différentes de perceptions que nous conservons dans le réel. Le Stress Post-Traumatique est une maladie qui modifie notre connexion à la réalité et a le pouvoir d’exploser n’importe où et n’importe quand, par exemple à cause d’un simple bruit.
Les questions sont :
- Quelle est la réalité d’une personne ayant un syndrome de Stress Post-Traumatique ?
- Le Stress Post-Traumatique peut-il être transmis entre un père et son fils ?
Pour la première question, je ne connais pas la réponse, mais pour la seconde j’ai trouvé la réponse dans les analyses de Susana Martinho de Oliveira (Traumas de guerre : stress post-traumatique secondaire chez les descendants des vétérans des guerres coloniales). Oui, le stress post-traumatique se transmet de mari à femme et de parent à enfant.
Avez-vous de prochains projets que vous pouvez nous divulguer ?
Je travaille à mon premier long métrage appelé Nayola. Une histoire écrite par Virgilio Almeida à partir de la pièce de théâtre Caixa Preta des auteurs angolais José Eduardo Agualusa et mozambicaine Mia Couto. À nouveau, je vais travailler sur la guerre et sur comment une famille (3 générations de femmes ici) peut survivre au milieu de l’un des plus importants conflits d’Afrique – la guerre civile en Angola qui a eu lieu de 1975 à 2002. C’est l’histoire d’une orpheline qui réinvente sa mère comme une héroïne sur les pages d’un cahier, où les mémoires et les masques, utopies et cruautés, réalité et magie, émergent, se tissent et se désagrègent. Un amour suspendu, une quête téméraire dans un environnement militaire, un regret déchirant, un voyage initiatique. Au final, un rassemblement tragique en temps de paix, dans un pays soumis à une vraie métamorphose, prêt à enfanter l’espoir.
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
Il y a quelques années, j’y ai présenté un projet avec le scénariste et ami Virgilio de Almeida. Christmas Wrapping Paper était un récit pour enfants, en rapport à la durabilité pendant les périodes de Noël, qui se passait dans un monde parallèle où tout est en papier. Virgilio avait eu la grande idée de se servir de sacs en papier pour le pitch afin d’illustrer le moment où Dodu, le personnage principal du dessin animé, construisait un ballon pour partir en voyage. Le problème est que la session de pitchs commençait dans une heure alors que les kiosques à journaux étaient fermés. Au final, on a essayé tout un tas de cookies aux saveurs différentes et parcouru toutes les pâtisseries de Clermont avant de trouver enfin le sac en papier idéal.
D’autres projections prévues ?
ANIMA, Bruxelas Festival Internacional de Animação (Belgique)
Stuttgart Trickfilm International Animated Film Festival (Allemagne)
FICCI Festival Internacional de Cartagena de Indias (Colombie)
Cliquez ici pour en savoir plus sur les étapes de création d’Estilhaços
Estilhaços faisait partie du programme de la Compétition Internationale I8.