Dîner avec Excess Will Save Us (La démesure nous sauvera)
Interview de Morgane Dziuria-Petit, réalisatrice de Excess Will Save Us (La démesure nous sauvera)
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait de filmer ces habitants ?
Je connais Villereau depuis toute petite : une partie de ma famille y habite et j’ai toujours perçu ce village comme plein de folie et de décors très cinématographiques. Un jour, mon père m’appelle et m’annonce qu’il y a eu un attentat dans le village. Comme j’habite en Suède, je ne peux pas simplement allumer ma télévision pour vérifier l’information. Je lui demande immédiatement de m’en dire plus. Il me lit l’article à la une du journal, qui constituera le synopsis du film : “À Villereau, un village de 5 km2 du nord de la France, une alerte terroriste est déclenchée, due aux psychoses des villageois. Après leur recherches, la police et l’armée découvrent que ce qu’ils pensaient être une attaque terroriste était en réalité la combinaison de deux événements : le début de la saison de chasse et une dispute entre deux travailleurs polonais ivres. Les villageois ont cru entendre « Allah Akbar » dans ce langage qu’ils ne connaissaient pas“. Cette histoire m’a beaucoup fait rire mais m’a aussi interpellée, et m’a donc donné envie de réaliser Excess Will Save Us. En réalité, l’alerte attentat qui s’est produite à Villereau n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres de la folie et de l’excès omniprésents dans le village que je trouve très inspirants. Je pense que nous sommes beaucoup à avoir connu pendant notre enfance des personnes qui agissent avec une certaine démesure. Retourner dans ce village en tant que réalisatrice avait quelque chose de très rafraîchissant car les habitants me surprenaient chaque jour.
Et dans le fait de les filmer au sein de l’environnement rural du village, voire à leur domicile ? Y a-t-il une part de mise en scène dans Excess Will Save us ?
C’était très important pour moi de filmer dans les domiciles car ils dévoilent ce que les habitants sont. Prenons la femme dans la chambre rose par exemple. Sa peur de l’extérieur se traduisait autant par son discours que par la pièce elle-même. Filmer dans ces lieux ouvrait aussi une porte vers l’étonnement : la ferme du vieil homme fonctionne comme un café où les gens vont et viennent partager leurs histoires, sans frapper à la porte. Il n’y a pas à attendre longtemps pour qu’une personne totalement inattendue fasse irruption. La cuisine de cette ferme est donc devenue un lieu très important simplement car elle était le lieu de réunion des habitants. Filmer dans les habitations c’est aussi avoir la possibilité de montrer une source de leur peur puisque presque toute la journée BFMTV et les autres chaines d’infos défilent. Il y a forcément une part de mise en scène. Quand je parlais à mon chef opérateur ou à mon monteur, je ne parlais pas d’une manière différente que je ne l’aurais fait pour une fiction. Pour l’image, les références principales étaient Roy Andersson, avec l’idée de faire une comédie composée uniquement de plans larges, et les peintures d’Andrew Wyeth, qui évoquent la campagne désertée. Quand nous faisions des interviews en solo avec une personne, je pouvais aussi placer les personnes là où je le voulais mais je ne contrôlais pas leur manière de bouger ou de me répondre. Je n’avais pas cette liberté pendant les scènes de groupe alors le placement de la caméra devenait plus délicat. Parfois, ce sont aussi de petites directions qui changent tout l’effet d’une scène. Par exemple, dans une des scènes, j’ai demandé à l’adolescente du film de ne jamais quitter la caméra des yeux et laissé les autres habitants faire ce qu’ils voulaient. Cette direction a renforcé l’effet d’isolation de l’adolescente qui fonctionne avec le reste de ce qu’elle partage pendant le film.
Pourquoi n’avez-vous pas fait témoigner la dame qui a passé l’appel d’urgence déclenchant une fausse alerte ?Parfois la peur des habitants les empêchait même de témoigner. Certains pouvaient imaginer des possibles représailles. Mais je ne l’ai jamais ressenti comme un problème car tous ceux qui ont accepté de participer représentaient déjà des figures de la peur très intéressantes et différentes les unes des autres. Aussi, j’aimais beaucoup l’idée de voir certains des habitants raconter leur surprise et quelque part leur amusement de ce qu’il s’est passé dans leur village. J’aime travailler sur l’idée de personnes qui racontent une histoire qui semble si absurde que l’on se demande si elle a vraiment existé. Cela ajoute de l’étrangeté au village et l’événement devient presque une légende.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la peur que ressentent ces habitants et leur inquiétude face à une criminalité qu’ils ressentent davantage aujourd’hui qu’il y a 10 ans ?
Il y a d’abord mes propres paranoïas qui se sont créées depuis les attentats en France et qui me rapprochent de ces habitants. Quand mon père m’a appelé pour me raconter ce qu’il s’était passé dans le village, c’était la première fois que j’ai réussi à rire de cette peur. Alors j’ai voulu faire de cette histoire une comédie dont on ressort triste pour mélanger mes deux sentiments face à ça. Je voudrais que ce film donne envie au spectateur de s’ouvrir à l’étrangeté et à la mélancolie qu’il a en lui-même. Qu’il se questionne sur ses propres paranoïas et ses jugements.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
Je pense que ce format permet d’avoir moins peur d’avoir une forme très prononcée et originale. Par exemple, dans le cas d’Excess Will Save Us, de choisir de ne filmer presque qu’en plans assez larges et fixes ou bien d’introduire un personnage en début de film pour ne le revoir seulement qu’à la fin du film.
Pour voir Excess Will Save Us, rendez-vous aux séances de la compétition labo L1.