Goûter avec Les rosiers grimpants
Entretien avec Julien Marsa et Lucie Prost, réalisateurs de Les rosiers grimpants
Pour réaliser Les rosiers grimpants, vous êtes-vous intéressés aux frontières et aux portes entre enfance et âge adulte ?
Lucie : Ça ne me parle pas trop ces « portes », certains jours je me sens comme une vieille femme qui a beaucoup vécu, et d’autres fois comme un enfant très ludique. Finalement, ce qu’on appelle l’adolescence me parle davantage, on essaie de gérer, pour autant on est un peu à la masse, on cherche de la légèreté, mais on est content de construire des choses dans la durée, et on stresse que ces choses ne soient plus en mouvement etc. J’aime bien ces contradictions. Notre génération de trentenaires, je trouve, peut avoir quelque chose d’adolescent. Dans notre court, il y a également quelque chose de régressif dans l’été, les vieux potes, les bières. La scène du policier est très régressive, mais les filles pourraient avoir quarante ans, cinquante ans.
Julien : Je n’ai pas l’impression qu’il y ait de portes à traverser ou à refermer pour sortir de l’enfance. Pour moi, l’enfance est un territoire qui reste ouvert et se projette dans l’âge adulte. J’ai le sentiment que ça se voit dans nos personnages, qui ont conservé une part enfantine dans leur comportement, leur façon de parler.
Quand vous avez écrit Les rosiers grimpants, vous êtes-vous interrogés sur le concept de réciprocité et de timing dans les relations amoureuses ?
Lucie : Pas vraiment, mais sinon j’y crois oui au timing, et en même temps je rêve d’un monde où la vraie rencontre surpasserait le mauvais timing, parce que je suis un peu romantique.
Julien : Je ne crois pas vraiment aux questions de timing, ou plutôt, je dirais que ce n’est pas quelque chose qui me préoccupe. L’important, c’est de vivre des histoires, peu importe qu’elles durent ou qu’elles capotent dès le début, ce qui compte, c’est la rencontre, ce qu’elle produit et la façon dont elle vous enrichit ou vous fait réfléchir sur votre propre mode de vie. Ce qu’a vécu Rosalie est lié indirectement à une rencontre, et même si ça la perturbe, on peut supposer que ça lui apporte quelque chose aussi.
Les rosiers grimpants joue avec le désir sexuel, le fantasme, l’érotisme, la sincérité et la simplicité des relations. Pensez-vous que les concepts de décence et de fidélité, exigeant le contrôle de nos désirs et projections, aient du sens ?
Lucie : Hum hum… Les images d’un fantasme et l’érotisme représenté dans le film pour moi sont davantage voués à ramener le corps à la vie, parce qu’il a été stoppé dans sa course naturelle par l’avortement. Je ne crois pas qu’il y ait frustration d’un désir dans le film. Sinon, dans la société en général, j’imagine que c’est plus pratique qu’on ne baise pas tous ensemble tout le temps… Je n’ai pas trop d’avis sur la question, c’est un mouvement général de société, dans les années 1970 les gens étaient heureux de beaucoup coucher ensemble, aujourd’hui il y a un repli sur les valeurs du couple (crise économique et crise morale), la maternité est l’aboutissement ultime comme ça l’a jamais été… Mais si les gens sont heureux comme ça… En même temps, aujourd’hui, les gens se quittent davantage et vont tenter d’autres choses alors qu’avant, le mariage était plus sclérosant. Ce qui est important, j’imagine, c’est de ne pas être malhonnête avec les autres et avec soi.
Julien : Je ne pense en effet pas que l’idée était ici de parler du contrôle de ses désirs, mais plutôt d’être en accord avec. De savoir où on se situe, ce que l’on recherche. C’est peut-être aussi pour vérifier une absence de désir par rapport à la maternité que Rosalie revient dans son village. Donc il ne se poserait sûrement plus la question, en creux, des désirs que la société nous impose, que de ceux que l’on ne maîtrise pas.
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Pourquoi l’environnement champêtre vous intéressait, le rapport à la terre, aux fleurs, un sentiment de liberté ?
Lucie : Je me suis inspirée de la maison de ma grand-mère et de son petit village du Doubs. J’avais projeté des images de la Loue une magnifique rivière, le pays de Gustave Courbet. C’est le pays de mon enfance. Les sens sont décuplés dans des univers comme ceux-là, et la nostalgie est plus facile à ressentir et, pour nous, techniciens, à rendre à l’écran. J’adore les fleurs, on dit qu’en leur compagnie on peut vivre avec de grands malheurs. Au final, on ne les a pas mises vraiment en valeur. On a tourné dans le Morvan parce qu’on a eu le soutien de la Bourgogne, c’est une région magnifique mais malheureusement le climat et le terreau ne favorisent pas la pousse des fleurs.
Julien : La question du paysage dans le film me semble très importante, car elle sert aussi à projeter des choses en rapport avec le trouble vécu par Rosalie, et sa capacité à prendre du recul sur ce qu’elle vit grâce au contact de la nature. Et puis la terre, la végétation, ça offre aussi une capacité de respiration. Parfois on avait envie que les paysages soient des paysages mentaux, le reflet de l’état psychologique d’un personnage, mais c’est quelque chose de très compliqué à traduire à l’écran.
Comment avez-vous conçu le personnage féminin et sa force intérieure ? Considérez-vous plutôt votre personnage comme une femme libérée ou dominatrice ?
Lucie : Ha c’est marrant, j’aurais pas pensé qu’on puisse la trouver dominatrice. J’ai vécu un avortement il y a 10 ans, et la façon dont cette fille se dépatouille de cette histoire c’est mon rêve, c’est comme ça que j’aurais aimé m’en dépatouiller. Elle est une trentenaire d’aujourd’hui, elle veut savoir vivre seule et aimer ça, pour autant elle veut construire des attachements solides, qui aient du sens. Elle a besoin de faire un point, revoir ceux qu’elle a aimés et qu’elle aime, la maison de sa famille. C’est la basique histoire des racines que l’on interroge quand on est un peu molesté par un événement. Elle est un peu paumée, mais elle est forte.
Julien : L’idée, c’était de raconter quelque chose de difficile à vivre, de troublant, de possiblement tragique, mais sur un mode vivant, riche généreux. On ne voulait pas du tout faire un film étriqué ou plombant. Je pense que le personnage s’est construit sur cette volonté. Sur la question de la domination, je ne pense pas, d’une part, qu’il y ait contradiction dans le fait d’être à la fois libéré et dominateur, et heureusement la question ne se pose pas en des termes aussi blancs ou noirs. Est-ce que Rosalie se sert des gens qui l’entourent, s’appuie sur eux pour aller mieux ? C’est une hypothèse qu’on pourrait entendre. Est-ce que cela fait d’elle quelqu’un de mauvais ou destructeur? Je n’en suis pas certain.
Cherchez-vous à décortiquer les relations humaines, et en particulier celles liées durant l’enfance ?
Lucie : C’est un rêve encore, l’attachement intact que l’on montre ici. Et oui, il y a des choses comme ça dans la vie, elles sont précieuses, un acquis que l’on ne questionnera plus, une histoire de fraternité sans la chienlit de la fraternité (qui est la famille tout autour).
Julien : C’est marrant, on dirait que vous avez vu beaucoup de choses en lien avec l’enfance dans ce film, alors que je n’ai pas l’impression que ce soit un territoire qu’on ait tant investi que ça à l’écriture ou au tournage. Mais ça fait plaisir, ça donne le sentiment que vous vous êtes réappropriée le film à votre manière, avec ce que vous êtes et ce que vous avez vécu.
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Pensez-vous que l’on cesse d’être un enfant ?
Lucie : Techniquement, oui, on cesse, puisqu’on associe les âges à des délimitations – enfance, adolescence, âge adulte. Il y a des enfants très tristes, il y a des enfants très vivants, les enfants tristes seront possiblement des adultes vivants, et vice versa. Il y a une histoire d’âge et de contexte, mais on est responsables de pas mal de choses, je trouve, quand on est enfant, on est responsables de l’équilibre de la famille d’une certaine façon. On est très empêchés dans nos mouvements, aussi. Ça peut peser. L’adulte qui a bien coupé le cordon peut accéder à plus de tranquillité et plus de naïveté, être davantage léger qu’un enfant. Donc, tout ça est très relatif.
Julien : J’ai l’impression d’avoir beaucoup de responsabilités aujourd’hui, bien plus que durant mon enfance ou mon adolescence, mais ça ne me pèse pas, et ça ne m’empêche pas de me sentir encore enfant.
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner les relations humaines et la « méga » cellule sociale ?
Lucie : C’est pas facile, ce format. Soit on trouve un concept fort, c’est pas mal pour un format d’une quinzaine de minutes. Soit on se risque à aborder des questions qui pourraient mériter un traitement de plusieurs heures. Nos personnages ne sont pas très complexes, pour autant on a essayé de les caractériser. J’ai l’impression qu’on ne peut pas se permettre sur des formats d’une demi-heure de traiter un meurtre, un truc fort, ça serait pas un bon film, pour le coup, le traitement paraîtrait trop superficiel. Alors on trouve des sujets d’entre-deux, et on trouve un rythme de petites cantates, des petites formes gracieuses mais pas trop intenses.
Julien : Moi, j’ai l’impression qu’on a fait un long métrage en format court, dans le sens où on déroule une histoire où on prend notre temps pour installer la situation, les personnages. On ne s’est pas refusé de tourner des séquences longues non plus, ou des plans séquences. Ou bien de conserver des séquences qui ne sont pas primordiales pour comprendre l’histoire, mais qui viennent rajouter des petites teintes, d’autres tonalités. Personnellement, je ne suis pas très fan du type de court-métrage avec un concept ou une chute. Je pense vraiment qu’on peut se servir de ce format pour raconter des histoires plus profondes, et pas juste dérouler une petite mécanique.
Les rosiers grimpants a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français » : rattaché des références cinématographiques, construit un contexte spécifique (dans une région par exemple) ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?
Lucie : J’ai situé l’action dans un village du Doubs parce que c’est ma région. Le Morvan ressemble un peu donc c’était parfait. C’aurait été particulier de tourner à la mer, oui, peut-être, et encore. Je voulais que ce soit les vestiges d’un jardin à l’anglaise, et notre compositeur a proposé une musique “asiatisante“, ce qui nous plaît beaucoup, entre autres parce que Julien et moi, on adore le cinéma asiatique. Un de nos électriciens m’a dit qu’il était content de tourner un film français où l’on ne parle pas d’amour à côté d’un frigo, ça m’a plu cette remarque ! Donc non, la France, pas trop, j’espère.
Julien : On a parlé un peu des Valseuses à un moment. Mais les références, ça va et ça vient, et c’est finalement difficile de dire ce qu’il en reste à la fin. En tout cas, il n’y avait pas de références dominantes, parce qu’on n’avait pas envie de faire un film « à la manière de ». Lorsqu’on tournait la dernière séquence du film sur le terrain de basket, on avait commencé par répéter un truc caméra à l’épaule, proche des personnages, c’était très poussif. On s’est dit, « Merde, on est en train de faire du Dardenne » et on voulait absolument pas tomber dans le naturalisme social, donc on a changé notre fusil d’épaule. Tout ça pour dire que les références, ça peut aussi servir de repoussoir, mais ça n’empêche pas le risque de retomber dedans !
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Pour voir Les rosiers grimpants, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.