Lunch avec Gueule d’Isère
Entretien avec Esther Mysius et Camille Rouaud, réalisateurs de Gueule d’Isère
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait que l’action se passe dans un environnement rural ?
C’est le mélange singulier entre montagnes, forêts et terrils qui a attiré notre attention. Le plateau matheysin a subi de profondes mutations tout au long de son histoire et continue de se transformer. Les mines de charbon, qui ont fermé au début des années 2000, ont façonné un paysage ouvrier et communautaire. Le territoire du film, c’est donc surtout la multitude de personnages qui le vivent et le parcourent.
Comment avez-vous travaillé l’ambiance et le rythme du film, la longueur des plans fixes et la composition sonore ?
Nous tenions à ce que le film prenne son temps, le temps de la montagne pleine de neige en arrière-plan, des corps qui l’arpentent, des chasses en longue battue collective. Mais l’ambiance tient effectivement et surtout de la composition sonore qui est intimement liée au paysage. La composition est l’œuvre de Yann Gourdon qui travaille sur la résonnance des lieux, de l’architecture. Il est venu pendant le tournage faire tourner et vibrer sa vielle à roue dans les décors mêmes du film. Il a enregistré ce qu’il appelle « l’empreinte sonore » de chaque lieu. En bref, il a donné une voix au territoire.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la couleur rouge de la séquence dans la mine ?
C’est à partir de cette séquence-là que le film commence à glisser dans des eaux plus troubles, plus fantasmagoriques. Le rouge est bien sûr la couleur de la passion, du désir mais aussi du danger. Ils descendent dans la mine comme dans l’intérieur d’un corps, d’un sexe féminin, comme dans la gueule du loup.
Comment avez-vous eu l’idée de la séquence en couleurs inversées ?
La séquence est tournée en caméra thermique, c’est-à-dire que ce qui est noir à l’image est froid et ce qui est blanc, plus chaud. C’est comme ça qu’une main froide sur un corps chaud laisse une trace qui va s’estomper, que les veines et marbrures de la chair sont visibles à travers les peaux. On voit à l’intérieur des corps. Et quelqu’un – Antoine avec ses jumelles, les chasseurs et leurs fusils, le loup – regarde.
Nous avons eu l’idée d’utiliser cette caméra lorsqu’il y avait eu un emballement médiatique autour d’un prétendu tigre échappé en Ile-de-France. Des gens prenaient des photos à l’iPhone de tous les chats qui passaient et la mairie avait fait voler des hélicoptères équipés de caméras thermiques pour retrouver l’animal. C’est venu de là, et aussi du fait qu’aujourd’hui les chasseurs l’utilisent pour repérer les bêtes la nuit. Et puis, il y a le film Predator avec Schwarzenegger et le vieux souvenir d’enfant de la vision du monstre qui voit en thermique. Bref, pour toutes ces raisons, nous trouvions intéressant qu’à ce moment-là, on ne distingue plus le chasseur de la proie, le spectateur du voyeur.
Comment avez-vous construit le personnage d’Isère ? L’avez-vous travaillé comme un « taiseux » ? Pourquoi lui avoir donné ce prénom ?
Isère est l’ami qui est resté là où il a grandi. Il est taiseux non pas parce qu’il n’a rien à dire mais parce qu’il n’y a rien à dire. Il observe les mutations de sa région sans prendre position. C’est un personnage résistant, inébranlable, archaïque mais aussi ambigüe parce qu’il ne peut ni partir, ni trouver sa place au sein de la communauté. Il a été appelé Isère, c’est une sorte de malédiction qui le lie à son territoire. Et le loup arrive comme une réaction de ce territoire à l’emprise des hommes.
Et qu’est-ce qui vous intéressait dans le choix du loup ? Etait-ce en tant que prédateur ou cible ?
Le loup est la source à la fois de tous les dangers et de toutes les haines. C’est aussi un animal à la symbolique très forte qui cristallise les peurs et justifie de grandes chasses cathartiques. Dans le film, le loup est une présence fantasmée, presque ésotérique. Ça nous fascine parce que ce sont des fantasmes, des peurs vieilles comme le monde et pourtant c’est toujours d’actualité.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
C’est un premier film. Nous n’avons pas cherché à le faire court, le format est venu parce que, en fin de compte, c’est sûrement assez naturel de commencer par là. Après, on peut dire qu’il nous a permis une très grande liberté dans la réalisation.
Si vous êtes déjà venus, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ?
Sinon, qu’en attendez-vous ?
Camille : J’ai fait la rencontre d’un homme au bar, il y a deux ans. La conversation était rendue difficile par un type passablement ivre qui monopolisait la parole en parlant très fort. Je suis parti. Le lendemain, je visitais l’exposition de photo de J-H Engström, membre du jury du festival de cette année-là, je crois, qui faisait une dédicace de ses livres photos. C’était l’homme du bar ! Cette rencontre ratée était un peu frustrante mais ses photographies ont été pour nous des références importantes pour démarrer l’écriture de notre film.
Pour voir Gueule d’Isère, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.