Breakfast avec Intercontinental
Entretien avec Louis Hans-Moëvi, réalisateur de Intercontinental
Le film est-il tourné dans un “vrai” hôtel Intercontinental ? D’où vous est venue l’idée de le situer dans ce cadre ?
Non, il appartenait à une différente chaîne hôtelière. Bien que j’aie toujours habité à côté de l’hôtel Intercontinental de Genève, j’ai tourné le film au Mirador Resort & SPA, un prestigieux établissement juché sur les hauteurs de Vevey. Le titre est venu ensuite. Quand j’ai pensé Intercontinental, j’ai tout de suite imaginé l’histoire comme un huis clos. Je voulais un cadre à la frontière du fantastique et du merveilleux, un lieu vide et somptueux qui se révèle petit à petit une cage dorée. En faisant mes repérages, le Mirador m’a semblé être le lieu idéal pour raconter cet isolement, cette splendeur coupée du monde et du temps. Accroché à la montagne et offrant une vue imprenable sur les Alpes, le bâtiment est habité par un calme étrange ; la vue est hypnotique, l’hôtel est majestueux et immense, à tel point qu’on y voit à peine les autres clients. Cette atmosphère m’a tout de suite inspiré pour raconter l’étrange nuit de Sarjo. Un lieu imposant et immuable, somptueux et vide, en dehors de toute réalité, un peu à l’image de la Suisse.
Pouvez-vous nous en dire plus sur le tournage ? Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
Le tournage s’est bien passé et je tiens à remercier avant tout mon équipe technique, sans qui le film n’aurait jamais été possible. Ils ont vraiment fait un travail incroyable et je suis encore étonné de voir le résultat final. En effet, le scénario original faisait plus d’une trentaine de pages et ne disposant que de sept jours de tournage, nous avons dû courir dans le dédale des couloirs pour réussir à tout filmer. De six heures du soir à six heures du matin, nous passions de décors en décors, des loges des acteurs situées dans la suite junior, aux spas, aux cuisines du personnel, aux salles de bal… Mon chef opérateur et moi connaissions les lieux comme notre poche, mais pour l’équipe technique, les premières nuits furent assez déroutantes… Encore un immense bravo à eux. Je tiens également à remercier l’hôtel Mirador, pour sa totale confiance, son hospitalité et sa disponibilité. Bien que je n’aie réalisé que deux films d’atelier auparavant, la directrice du Mirador n’a pas hésité à m’ouvrir les portes de son établissement, à mettre à disposition son personnel et absolument tous les décors que j’avais pu imaginer. Effectivement, en écrivant mon film de diplôme, je n’avais pas réalisé à quel point le nombre et la qualité des décors seraient importants et capitaux. J’étais tellement heureux quand j’ai appris qu’on avait les autorisations ! Parfois, on a vraiment de la chance.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la relation entre les deux protagonistes ?
Cette relation était présente dès le début de l’écriture du film. Entre échec et petite victoire, j’ai cherché à mettre en scène certaines choses que j’ai vues, que l’on m’a racontées dans ma famille et qui pour moi étaient en lien avec la quête et le renoncement de Sarjo. Mona est plus qu’un personnage, elle est un moyen de parler de nous, de notre regard qui définit notre relation à l’autre. Entre désir et dégoût, je voulais qu’elle soit fantomatique, une présence dans l’hôtel, son unique client, propriétaire et prisonnière de sa propre cage. Ce que je voulais explorer, c’est l’impossibilité de cette relation. Fascination, désir, pouvoir, entre Sarjo et Mona, l’autre est toujours vu comme un moyen et non comme un égal. Des deux côtés, le regard est toujours mal placé, jamais à hauteur d’homme. L’autre est tenu à distance, comme fantasme, comme instrument de vengeance, comme moyen de pitié. Leur rencontre est impossible parce que l’autre est mis à distance.
Quelles sont les idées que vous souhaitez développer dans vos futurs projets ?
J’aime l’idée d’univers au cinéma. La capacité de créer un monde aux accents de réalité, de lui donner vie sur la toile et d’essayer de le faire exister en dehors de la salle de cinéma, dans la tête du spectateur. En ce moment, je suis en train de réaliser un autre court métrage, documentaire cette fois-ci. Le projet s’intéresse à un jeune homme de 18 ans qui souhaite retourner sur les traces de ses ancêtres chasseurs et cueilleurs et vivre en autonomie dans la nature du Grand Nord canadien. Le film raconte les deux derniers mois de sa préparation en banlieue de Genève et principalement son activité de tannage artisanal pour se confectionner des habits en peau de cerf avant son départ. Entre retour à la préhistoire et société contemporaine, il sera là aussi question d’univers qui s’observent et cohabitent avec peine. Cette idée de rêve, d’eldorado, mais cette fois-ci canado-alaskien, est une thématique qui m’intéresse beaucoup et que je souhaite développer encore par la suite.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Bien sûr, l’exercice du court métrage est très enrichissant et permet de s’essayer à différentes formes de cinéma et de narration. À moindres risques et en quelques mois, il est possible de tester et donner vie aux idées qui nous habitent. Pour Intercontinental, j’avais envie de travailler sur une narration silencieuse, faite de tableaux et de ruptures, avec peu de dialogues et d’informations. Je souhaitais tester les limites de cette forme et voir ce qu’elle produirait. Même si cet exercice peut s’avérer frustrant, car il nécessite un grand effort de concision, c’est une chance de pouvoir tourner avec autant de liberté. J’ai encore de nombreuses idées et envies que je souhaite développer dans de futurs courts projets avant de m’essayer à de plus longs formats.
Intercontinental a été projeté en compétition internationale.