Goûter avec Je repasserai dans la semaine
Entretien avec Alizée Cholat, Sophie Devautour et Loïc Espuche, réalisateurs de Je repasserai dans la semaine
Comment vous est venue l’inspiration pour Je repasserai dans la semaine ?
Sophie : C’est une histoire vraie dont Loïc a été témoin. Ce qui nous a donné envie de la retranscrire en animation, c’est toute l’émotion qu’elle contient.
Loïc : Je repasserai dans la semaine est inspiré d’une situation que j’ai vécue il y a 3 ans. J’ai été très touché par ce moment. C’était comme si sous mes yeux se déroulait quelque chose d’extrêmement personnel et à la fois universel.
Alizée : Quand Loïc nous a parlé de l’envie de transposer cette histoire en film, nous avons toutes les deux été motivées par le défi de raconter justement une histoire intime qui n’était pas la nôtre.
Vous êtes dans la même école d’animation et je suppose que c’est pour cette raison que Je repasserai dans la semaine est un film d’animation. Néanmoins, auriez-vous pu envisager de réaliser Je repasserai dans la semaine en tournage avec des acteurs ? Quelles qualités l’animation a-t-elle qui font la différence dans ce film ?
Alizée : Oui, ce film aurait tout à fait pu être envisagé en prise de vue réelle. Mais l’animation nous a permis de raconter peut-être plus intimement cette histoire à travers un dessin qui reste personnel. Les « personnages » ne sont pas réincarnés par des acteurs, mais ils sont transposés directement par le medium du dessin. On évite alors un intermédiaire supplémentaire, ce qui nous a permis, je pense, de traiter l’histoire au plus juste.
Sophie : L’animation est notre moyen d’expression à nous en tant qu’animateurs, alors quand on a un sujet, on se demande comment nous allons le retranscrire avec notre médium qui est l’animation. Le traitement en animation permet une certaine stylisation, et permet de créer un lien avec d’autres univers graphiques. Par exemple, dans Je repasserai dans la semaine, nous voulions faire le lien avec les carnets de croquis comme si on avait voulu « croquer » un instant de vie. Et c’est pour cela que nous avons tenu à garder le trait de crayon, plutôt que ce soit fait sur ordi.
Loïc : Et si l’on part du postulat que nous avions un film d’animation à réaliser, nous pouvons questionner la mise en scène plus que la technique : on a opté pour une mise en scène proche des personnages, avec des plans assez longs, qui placent le spectateur dans un rôle d’observateur de la situation. Comme l’a dit Sophie, dans le graphisme, nous voulions retranscrire un instant de vie et c’est la même envie qui a guidé la mise en scène. Certains spectateurs ont étés surpris par ce mélange entre technique graphique et mise en scène. Ils n’ont peut-être pas l’habitude de voir des films en animation dans ce registre. Certains ont dit « avoir eu l’impression de voir un vrai film ». C’est une réflexion ambivalente car elle prouve que l’animation peut s’approprier un langage cinématographique naturaliste, mais en même temps elle montre qu’il y a encore du chemin à parcourir pour que le cinéma d’animation se défasse de l’image à laquelle on le cantonne.
Pensez-vous que la famille des amis peut devenir plus importante que la famille du sang ?
Sophie : Oui, dans certains cas. Là en l’occurrence la famille du « héros » reste très importante à ses yeux.
Dans Je repasserai dans la semaine, vous évoquez le rapport d’un petit-fils à ses grands-parents, mais vous ne donnez pas du tout à voir l’échelon du milieu, les parents. Pourquoi avoir choisi d’occulter cette marche dans les relations familiales ?
Sophie : Ce n’était pas le propos du film de traiter de la relation avec les parents, de parler de toutes les relations familiales. Le but était de faire sentir à travers cette anecdote, les liens présents entre les différents protagonistes.
Alizée : Et d’autre part, le lien parent-enfant est peut-être généralement plus évident et donc moins intéressant à traiter.
Loïc : Dans la construction narrative nous sommes restés très proches du moment auquel j’ai assisté. La mère de mon ami n’était pas là, tout simplement.
Ceux qui ont été des parents mais ne parviennent plus à être autonomes finissent parfois leurs jours dans l’abandon et l’indifférence des maisons de retraite. Que pensez-vous de la place des personnes très âgées dans notre société contemporaine ?
Loïc : Avec ce film, nous choisissons de ne pas nous positionner à l’échelle de la société mais à celle de la famille et des individus. Je ne peux pas parler de LA place des personnes très agées, car j’ai l’impression que se serait nier les différences qui existent entres eux, que ce serait les voir uniquement comme une catégorie de personne et non plus comme des individus.
Alizée : Au-delà du film, je ne pense pas que maison de retraite signifie abandon. Pour moi, ce n’est pas une question de lieu mais peut-être simplement une question de désintérêt de l’entourage proche.
Sophie : Je pense que les personnes âgées sont effectivement trop isolées et tenues à l’écart et on en parle beaucoup trop peu.
Par ailleurs, dans Je repasserai dans la semaine, vous restez discrets sur le rapport des grands-parents à leur perte d’autonomie, est-ce par pudeur ou parce que ce n’est pas votre sujet ?
Loïc : Pour des raisons évidentes, la genèse de ce projet nous a amené à le traiter avec beaucoup de pudeur.
Sophie : Je dirais que nous voulions montrer volontairement que les grands-parents dans Je repasserai dans la semaine restent eux même pudiques face à leur perte d’autonomie.
Alizée : Je crois qu’on reste discret mais que le sujet est suffisamment abordé à travers les difficultés physiques et le silence du grand-père, et aussi par l’inutilité manifeste de la grand-mère et par son monologue de parade.
L’intervention des pompiers dans Je repasserai dans la semaine est très impressionnante, de par leur nombre, attitude, uniformes. Comment avez-vous conçu cette intervention, à l’écriture comme au dessin, pour qu’elle rende cet effet ?
Loïc : Dans la réalité, les pompiers étaient aussi très nombreux (je pense qu’ils s’attendaient à une opération beaucoup plus compliquée), tous en uniforme, avec une attitude professionnelle. Ils avaient un côté « vrais hommes » qui, contrairement à Jérémy et moi, ont réussi à relever le grand-père. Ils ont réussi ce pour quoi ils avaient étés appelés. Dans ces moments-là, on s’éloigne et on observe. On se sent inutile, presque encombrant vu qu’on bouche le couloir.
Dans le film on a cherché à transmettre ce contraste entre les pompiers et les deux jeunes. Pour cela on a choisi de ne pas magnifier l’intervention. Les pompiers ne sont pas filmés comme des héros qui réussissent une action impossible. Quand ils relèvent le grand père, ils ne sont même pas au centre de l’attention. Cela renforce l’idée que ce qui paraissait irréalisable pour les deux jeunes, est une formalité pour les pompiers. Si l’intervention des pompiers est aussi impressionnante c’est donc en grand partie du au regard que l’on porte sur la situation avant qu’ils n’entrent en scène.
Sophie : Ils sont tous assez grands et le cadrage est tel qu’ils surplombent les deux jeunes, ce qui renforce cette idée. La lumière de cette scène est réfléchie de manière à centrer l’attention sur le grand-père dans la salle de bain.
Loïc : En effet, au moment de leur sortie, les pompiers dominent les deux jeunes et cela renforce sûrement la supériorité des pompiers dans l’esprit du spectateur.
Je repasserai dans la semaine fait partie des productions françaises. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Loïc : Aucune idée, je n’ai jamais comparé de films en suivant un critère de nationalité.
Sophie : La production d’animation française est influencée par tous les autres arts graphiques français, la BD, les illustrateurs français, etc. Donc ce qu’elle apporte que les autres n’ont pas c’est la culture française.
Pour revoir Je repasserai dans la semaine, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F2.