Breakfast avec K-Nada
Entretien avec Hubert Charuel, réalisateur de K-Nada
Comment vous est venue l’idée de ces deux personnages, que tout semble opposer et qui semblent pourtant incapables de pouvoir avancer l’un sans l’autre ?
A la base de K-Nada, il y avait une véritable volonté de casting. Ma co-scénariste et moi, nous voulions écrire un scénario qui réunissait Valentin, mon cousin et acteur de mon film d’école, et Grégoire, le monteur de ce même film. Un jour ils se sont retrouvés dans la même pièce devant nous et on s’est dit que ce serait intéressant de les mettre devant une caméra tous les deux. Ils n’ont rien à voir l’un et l’autre en apparence et pourtant ils peuvent être proches sur bien des points.
L’idée de départ est très bien résumée dans votre question, c’est même souvent comme ça que je résume le film. Deux frères que tout oppose, qui vont devoir partager la même voiture pour arriver à ce qu’ils veulent.
Tour à tour, vos personnages prennent la tête de leur duo sans qu’on ne puisse définir de « dominant » entre les deux, ce qui est particulièrement fin comme approche. Tout en vous en étant peut-être inspirés, vouliez-vous éviter le côté duo comique à la Laurel et Hardy ou à la Starsky et Hutch ?
Nous avons beaucoup travaillé l’écriture et le montage pour qu’aucun protagoniste ne domine véritablement l’autre. K-Nada fonctionne sur deux personnages qui se rembarrent, qui se renvoient à leurs échecs respectifs. Grégoire et Valentin ne remettent jamais en question leurs choix propres. Ils remettent en question les choix de l’autre. C’est à force de se tirer mutuellement vers le bas qu’ils finissent pas avancer, ils sont la conscience de l’autre. Pour que ça marche, il fallait que les forces négatives soient égales.
Vos héros portent des rêves professionnels mais errent à la recherche d’un projet de vie qui enfin fonctionne. Pensez-vous que cette attitude (définir, planifier et construire un projet sans parvenir à aboutir) soit un comportement courant de la jeunesse contemporaine ?
Je ne fais pas de constat généralisé. Les personnages sont ancrés dans un contexte social et géographique. J’ai grandi dans un département pauvre et rural, comme eux. La capitale économique de mon département est un ancien bastion sidérurgique ravagé par le chômage et les fermetures d’usine depuis les années 80. Là-bas, ça fait 30 ans que c’est la crise. A un moment, je me suis rendu compte que mon entourage et moi-même n’avions que des projets de vie aux antipodes de là où je vivais : faire du cinéma, de la musique, construire des chalets en rondin de bois ou juste vivre dans un autre pays. On voulait fuir tout ça. Quand tu es jeune et que tu ne peux pas partir de ton trou, tu t’images déjà être loin, sans penser vraiment au meilleur plan pour y arriver. Sans compter que personne n’est vraiment capable de t’aider correctement pour ça. Je ne serais donc pas étonné de voir ce sentiment de dépression ambiante que l’on cherchait à fuir par tous les moyens se généraliser.
Vous avez choisi deux protagonistes liés par les liens du sang, pensez-vous qu’ils pourraient avoir les mêmes rapports s’ils étaient simplement amis ?
Je ne sais pas si on peut être aussi direct et violent avec un ami, lui dire aussi clairement ce qu’on pense de sa vie. Un frère reste un frère, alors qu’on peut perdre un ami. Et j’aurais plus de mal à comprendre pourquoi ces deux personnes autant dans le conflit passent autant de temps ensemble.
Par ailleurs, vous êtes-vous documenté sur la probabilité de recevoir une proposition de travail illégal comme celle qui est présentée dans K-Nada ?
Certaines boîtes de nuit de province sont de vraies plaques tournantes de la drogue, c’est connu. Ma région est une plaque tournante, les articles pullulent à ce sujet (en voici un exemple). Sans être forcément fréquent, ça existe. Pour les allers-retours à Amsterdam ou Maastricht, je n’ai pas besoin de me documenter, je connais de près et de loin.
Êtes-vous sensible à la thématique de la solidarité comme à celle de la fraternité ? Auriez-vous pu faire un film sur un groupe de personnes plus large ou êtes-vous plus intéressé par la relation « à deux » ? Croyez-vous en « l’autre » comme solution pour soi-même ?
Je suis très sensible à cette question puisque je suis fils unique et que je le regrette. Faire un film avec un groupe de personnages m’intéresse mais sur un format court, c’est plus compliqué. Croire en l’autre, c’est justement tout le message du film. Croire en l’autre, même si des fois ça ne marche pas.
Pourquoi avez-vous choisi de placer vos deux héros dans des relations peu enviables avec les femmes ? Aviez-vous déterminé à l’avance qu’aucun ne pouvait être épanoui dans sa vie sentimentale ?
Je ne sais pas s’ils ont des relations peu enviables : ils n’en ont tout simplement pas.
Si je me mets à leur place, je me dis que leur situation n’est pas enviable, qu’ils le ressentent et qu’ils sont persuadés que personne ne s’intéressera à eux. Je suis assez partisan du fait de devoir s’épanouir soi-même pour pouvoir s’épanouir longtemps avec un autre sans risque de relation déséquilibrée. Pour moi, à la fin, ils sont prêts pour une relation sentimentale.
K-Nada a été produit en France. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Le principe même de production française est un cas à part dans le monde. Personne d’autre que la France ne produit autant de films courts. On a de la chance. Je n’ai jamais été produit hors qu’en France alors je ne peux pas vraiment dire ce qui est mieux ou moins bien. Je sais par contre que réaliser des courts métrages en France, c’est la liberté de faire ce qu’on a envie de faire, sans dépendre de contingences économiques liées au fait que ça doit rapporter de l’argent. C’est la meilleure école pour expérimenter des choses qui sont impossibles à faire lorsque l’on passe au long métrage.
Programme pour voir K-Nada, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F11.
Les infos en +
Hubert Charuel donnera une interview à LDVTV pendant le festival.
Le film a été projeté en sélection nationale au festival Premiers Plans à Angers.