Lunch avec La république des enchanteurs
Interview de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh, réalisateurs de La république des enchanteurs
Comment avez-vous eu l’inspiration pour réaliser ce film ? Y a-t-il une part documentaire ?
Nous avons été invités à venir tourner un film avec les habitants d’un quartier de Nantes dans le cadre du projet « Dans Mon Hall », organisé par la société de production De l’Autre Côté du Périph’ et la Confédération Syndicale des Familles (CSF).
L’idée était d’inviter 10 réalisateurs dans 10 quartiers de France à faire 3 films de 3 minutes avec des habitants, en passant 2 semaines sur place. C’est ainsi que nous sommes arrivés dans la cité des Dervallières à Nantes en Décembre 2015.
Nous avons passé la première semaine à rencontrer un maximum d’habitants, via les associations locales et dans les rues du quartier. Nous discutions dehors quelques minutes, ou plus longuement lors d’entretiens au local de la CSF. À partir de cette matière, nous avons ensuite eu trois jours pour écrire un scénario, deux jours pour répéter et deux jours pour le tourner. Ça été une expérience incroyable, intense, et très belle, grâce aux liens que nous avons créés avec des gens du quartier.
Si La république des enchanteurs est une fiction, le film puise son inspiration dans le réel. Dans l’histoire des personnes rencontrées, dans leur sensibilité et dans l’atmosphère générale que nous avons ressentie dans ces lieux.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport à la musique, aux chansons et aux sons répétés et agencés pour créer une mélodie ?
Les trois volets de notre histoire forment une « république » unique. Nous voulions que chacune des trois parties qui la composent aient en commun de s’ouvrir avec une introduction en musique ou en son, qui annonce de manière indirecte la courte histoire à venir. Comme le narrateur d’un conte avant de plonger dans le livre. Ce sont les femmes qui dansent et slament « Un peu plus d’air sous nos jupes ! » dans le premier film ; la jeune fille qui scande en arabe les paroles de la chanson de Fairuz « Nous et la lune sommes voisins » dans le deuxième, et l’enfant qui chuchote des mots rassurants en roumain dans le troisième. Le film étant donc construit en trois tableaux, et nous savions dès l’écriture que la bande sonore jouerait un rôle fondamental afin d’unifier ces histoires et d’en faire un film cohérent. Nous voulions que chaque partie ait ses propres sonorités, multiculturelles, chantées, slamées, parlées, dansées. Que ces sonorités se lient pour former une sorte d’hymne commun, qui fasse écho aux valeurs de cette république d’enchanteurs : liberté, poésie, égalité, fraternité, courage et douceur. Nathan Blais, avec qui nous avons l’habitude de travailler, a composé un thème musical qui revient sous plusieurs déclinaisons, dans lequel des instruments différents apparaissent en fonction des chapitres. Nathan a donné à la musique des teintes hivernales, féériques, parfois mélancoliques, que nous souhaitions mettre en avant. En plus de cette musique originale, nous avons utilisé une chanson de Fairouz que l’on adore. Nous avions cette mélodie en tête dès l’écriture et elle nous a beaucoup inspirés, par sa poésie et sa chaleur. Il y a aussi un slam que Fanny avait écrit il y a quelques années et que nous avons fait dire en canon aux femmes du premier chapitre. Il y a enfin un travail sur les sons du quotidien qui deviennent mélodiques grâce au montage. Alexander Kalashnikov, qui a fait le montage son, et Paul Jousselin qui s’est occupé du mixage, nous ont beaucoup aidé dans ce travail de création sonore.
La république des enchanteurs dépeint une société bienveillante et ouverte à la rencontre, comme « enchantée » pourquoi aviez-vous envie de donner à voir cette vision-là du monde ?
Peut-être parce que nous sommes tous les deux de nature optimiste. Puis surtout, parce que le quartier dans lequel nous avons tourné ce film, les Dervallières, est un lieu où le tissu associatif est très fort, où il y a beaucoup de personnes qui s’engagent au quotidien pour faire de leur cité un lieu de bon vivre ensemble, et que nous avons eu envie de mettre cette communauté en avant. Et aussi, parce que nous avons fait ce film dans un contexte particulier qui nous a sûrement influencés. La république des enchanteurs a été tourné deux semaines après les attentats du 13 novembre. Forcément, au moment d’écrire ces histoires, on était encore marqués par ces horreurs, et aussi par la peur de l’amalgame, par la crainte que cela accentue la stigmatisation dont souffrent certaines cités et les gens qui y habitent. Alors, un peu par réaction peut-être, on s’est dit qu’on allait faire un film radicalement optimiste. En même temps, il y a aussi dans ces trois histoires des touches de mélancolie, d’hiver, d’une douceur presque triste. Mais notre volonté première était de donner à voir un quartier dont l’âme serait tissée par des habitants merveilleux. On a beaucoup pensé au réalisme magique sud-américain en faisant ce film, à cette littérature qui mêle des regards magiques et oniriques et une approche naturaliste dans un contexte social donné. Nos quartiers sont des lieux d’une richesse rare, où les cultures qui se côtoient peuvent tisser des liens très forts. Nous dépeignons donc une société un peu utopique, rêvée, mais c’est surtout un film inspiré de ce qui existe. La bienveillance, l’ouverture, la poésie sont là, beaucoup de citoyens les portent en eux, et nous avions envie de leur rendre grâce.
La république des enchanteurs personnifie aussi la ville par des visages, des sourires, des paroles. À quel point la personne humaine était-elle importante ?
Parce que la ville, c’est avant tout un rassemblement d’humains, plus dense qu’ailleurs. Et des espaces publics où les gens se croisent, se rencontrent, s’engueulent. C’est cet espace que l’on rencontre en premier et que nous avons eu envie de pénétrer. Dans notre film précédent, Gagarine, l’architecture était un personnage en soi qui jouait un rôle central dans le récit. Pour La république des enchanteurs, nous avions peu de temps pour faire connaissance avec le quartier, et les premières choses qui nous ont marqués ont été des visages, sur lesquels ont pris forme des récits de vie singuliers.
Nous avons été étonnés nous-mêmes de la spontanéité avec laquelle certaines personnes se sont livrées à nous lors des entretiens menés dans le quartier. Leurs témoignages étaient souvent durs, parfois drôles, mais toujours riches et étonnants. Nous avons eu envie de montrer cette beauté, et de donner un espace d’expression à des gens que l’on n’entend pas toujours. La fiction nous donne cet espace, car elle permet de faire un pas de côté pour raconter des choses parfois trop personnelles.
Vous jouez aussi sur la mise en scène des personnages, ainsi que des effets de contrastes et de lumières donnant une impression qui m’a semblée fantasque et surréaliste à l’histoire. Était-ce volontaire et quelle place cette ambiance, le travail de l’image, ont-ils par rapport à la narration, le travail du texte ?
La république des enchanteurs est un film tourné dans une cité avec des habitants qui n’avaient jamais joué, et dans des délais ne laissant presque pas de temps pour répéter. Pourtant, nous savions dès le début que nous voulions créer un film esthétiquement très marqué vers la fiction, vers l’irréel même, afin de sublimer ces personnages ancrés dans le réel.
Pour ce faire, notre mise en scène puisait, comme notre narration, dans des références liées au réalisme magique. Même si notre république est peut-être moins fantasque que le serait un film de Jodorowsky, il est quand même un exemple de réalisateur que l’on admire beaucoup, parce que sa liberté et sa vision nous inspirent, nous donnent du courage.
Nous avons aussi beaucoup pensé à Kieslowski, avec son très beau Décalogue filmé dans une cité polonaise en plein hiver. C’est sans comparaison évidemment, mais pour parler de l’image et de la lumière, disons que Kieslowski, ou Carax, ce sont des références, dans la manière de filmer la ville, d’appréhender l’homme dans ces espaces urbains, qui nous ont aidé à penser notre mise en scène. Sur le tournage, qui était très rapide et réalisé avec une petite équipe, on a utilisé des outils simples pour créer ce décalage entre réalisme et onirisme. On avait une bonne caméra et de belles optiques, assez douces. Les machines à fumée, le format en 2:35, et la lumière bleue accentuée sur certaines scène sont des outils qui nous ont aidé à aller dans ce sens ! Victor Seguin, le directeur de la photographie avec qui nous travaillons depuis notre premier film, est très à l’écoute de nos intentions, et s’investit toujours beaucoup dans les repérages, le découpage, jusqu’au tournage. Ses propositions sont importantes, et malgré des timings très serrés, il fait tout pour ne pas abandonner un plan important, cherche toujours une solution, quitte à se caler à l’arrière d’un camion tremblotant pour faire un travelling à côté d’un cheval à guirlande ! C’est en grande partie grâce à lui que l’on est parvenus à créer cette ambiance un peu surréaliste. Puis le travail de montage, avec Daniel Darmon, nous a permis d’affirmer des choix un peu radicaux, en allant chercher des images de la mer, en jouant sur les sons de la ville, de la mer, des corps en action, et des voix qui s’entremêlent sur ces images pastel.
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Toni Erdmann de Maren Ade a été notre gros coup de cœur de cette année. Puis pour des raisons très différentes, on a envie de citer The Revenant, L’étreinte du Serpent et Moi, Daniel Blake.
Si vous êtes déjà venu(e)(s), racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
L’année dernière, Gagarine, notre premier film, était montré aux « scolaires », et ça avait été impressionnant de savoir que tous les matins le film était vu par plus de 1000 jeunes collégiens et lycéens. On avait eu la chance d’en rencontrer certains, et les échanges avaient été très spontanés. Nous sommes donc très heureux que La république soit aussi montré aux élèves cette année. On espère d’aussi belles discussions avec cette nouvelle histoire. Et on est très heureux qu’il y ait un panorama sur les films colombiens, car c’est un pays auquel nous sommes tous les deux très attachés.
Pour voir La république des enchanteurs, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.