Dîner avec Le COD et le coquelicot
Entretien avec Jeanne Paturle et Cécile Rousset, réalisatrices de Le COD et le coquelicot.
Le COD et le Coquelicot mélange des images animées et personnages filmés : s’agit-il d’acteurs ou avez-vous pris des images en situation réelle ?
Les personnages ont été filmés en situation réelle : ce sont des scènes de classe ou de voyage scolaire, que nous avons tournées à l’école/en classe de neige. Quand nous avons décidé d’utiliser ces scènes pour l’animation, et de garder les visages des instituteurs, nous leur avons demandé à tous les 5 de les photographier sous toutes les coutures pour pouvoir animer leurs personnages plus librement.
Vos voix off sont constituées de témoignages d’enseignants. Comment les avez-vous recueillies et était-ce votre première étape dans la réalisation de ce film ?
C’était effectivement la première étape du film. Nous avons longuement enregistré les 5 instits, ensemble, en essayant de recréer l’ambiance légère, pédagogique et drôle de « la passerelle » de l’école, le lieu où ils se retrouvent à la récré et pendant la pause du midi pour fumer et se raconter leurs petites anecdotes de classe. Nous les avons fait beaucoup parler (près de 15 heures de rushes) car nous ne savions pas exactement les limites de notre sujet à ce moment (nous avons aussi enregistré les élèves). Puis, au moment de monter ces témoignages pour trouver le fil rouge du film, il nous a semblé clair que c’était le point de vue des enseignants qui nous intéressait ici. C’est à partir de cette première bande son que nous avons commencé à écrire réellement, puis à travailler sur les recherches d’images.
Le COD et le Coquelicot questionne la priorité pédagogique de l’Ecole, entre le savoir académique (le COD) et le savoir social (le Coquelicot). Pensez-vous qu’il s’agisse d’un questionnement d’éducation lié à notre époque ou qu’il soit intemporel ?
C’est dur de dire si c’est intemporel, mais en tout cas ça semble bien présent aujourd’hui. Plus ou moins sans doute selon le contexte de chaque école. Dans celle-ci, le fossé est très profond entre l’environnement culturel et social très pauvre des enfants du quartier et l’exigence (parfois la rigidité) des programmes scolaires. Ça nous semblait être une des difficultés caractéristiques des quartiers qui souffrent d’une absence de mixité sociale.
Si vous étiez obligée de faire un choix ferme et définitif entre ces deux publics, préféreriez-vous montrer Le COD et le Coquelicot aux élèves ou aux professeurs ?
Plutôt aux professeurs. On a pensé ce film comme parlant plutôt aux adultes qu’aux enfants, et on imagine que nos questionnements liés au métier intéressent en premier lieu ceux qui l’exercent. Mais le mieux ce serait de ne pas choisir.
Dans leurs témoignages, les enseignants s’attardent sur les raisons de l’inhibition de soi des enfants. Le COD et le Coquelicot semble s’interroger sur leurs propres inhibitions. Avez-vous eu, vous aussi, des inhibitions en réalisant Le COD et le Coquelicot?
On a eu des doutes, comme tout réalisateur de documentaire, sur la manière dont on utilisait la parole et l’image de nos 5 maîtres. Ils nous faisaient confiance et on ne voulait pas les trahir ni les gêner. En même temps faire un film, c’est faire des choix de montage, d’image, apporter sa voix, et forcément ils n’allaient pas, tous, se retrouver fidèlement dans tout ça. Si on a eu des inhibitions, elles sont liées à ces questions de confiance, mais je dirais qu’au final, on n’en a pas vraiment conscience.
Le COD et le Coquelicot fait état des différentes sphères de l’école : celle de l’enfant, celle de la famille, celle de l’environnement extérieur, celle du rapport au groupe entre enfants, celle du rapport à l’apprentissage, etc., auxquelles se confronte celle de l’enseignant. Pourquoi avez-vous choisi de ne pas donner la parole aux enfants, à leurs familles, aux politiques, aux amis ou ennemis de classe, aux analystes de l’enfance, etc. ?
Au tout début, avant même de chercher un producteur et des financements pour faire le film, on savait juste qu’on voulait parler de cette école. On a envisagé de faire parler tous ces gens, qui participent tous à la vie de l’école. Et puis, au fur et à mesure que notre sujet s’est précisé, c’est la parole des enseignants qui s’est imposée, sans doute parce qu’elle était très proche de nos interrogations personnelles (on travaillait toutes les 2 dans cette école à ce moment-là, on était confrontées aux mêmes choses). Comme on fait de l’animation, on savait que le format du film serait limité (l’animation, c’est long ! Déjà 24 minutes, ça nous paraissait inenvisageable au début), donc il fallait faire des choix. On ne pouvait pas parler de tout. On a donc choisi de suivre les voix de ce petit groupe de profs. Le reste, ce sera pour faire d’autres films!
Le temps de l’insouciance des vacances de neige est dépeint comme une parenthèse de joie pour l’enfant, néanmoins vous donnez à voir une séquence d’étouffement de l’enseignant dans cette allégresse. Le métier d’enseignant vous semble-t-il fait de cette saveur douce-amère ? Connaissiez-vous déjà particulièrement le travail d’enseignant ou celui d’animateur auprès d’enfants ?
Oui ! On travaille toutes les deux avec des enfants (Cécile comme professeur d’arts plastiques en école primaire, Jeanne comme éducatrice spécialisée avec des jeunes – et animatrice dans l’école à cette époque-là). C’est parce que nous baignions dans cette saveur douce-amère que nous vivions à la fois un attachement très fort à cet endroit, à ces enfants, à ces métiers, et souvent un réel désespoir qui va avec, que nous avions tellement envie de faire le film.
Enfin, Le COD et le Coquelicot est une production française. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
On ne sait pas répondre à cette question.
Peut-être une forme de liberté dans le travail…
Pour voir Le COD et le Coquelicot, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F12.