Dernier verre avec Le sujet
Entretien avec Patrick Bouchard, réalisateur de Le sujet
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport physique au corps ?
D’une part, le rapport physique au corps est concret et dans ce cas-ci, plutôt intime. Ce rapport sollicite directement nos sens et nous informe sur notre état. D’autre part, les questions de l’être et de l’invisible en nous sont difficilement interprétables. Pourtant elles font partie de l’essence de chaque individu, qu’on le veuille ou non. Ainsi, c’est ce même corps qui a servi de vecteur entre ces deux dimensions de l’être. Je me suis en quelque sorte servi de cet « outil » physique pour outrepasser la chair. En ce sens, je dirais que le rapport physique au corps est bien réel mais accessoire aux questions d’ambigüités de l’être.
Et dans celui aux matières, aux outils, aux objets, aux mécanismes et engrenages… ?
Le rapport à la matière est surtout tactile. Lorsque je travaille la Plastiline par exemple, je n’efface jamais les empreintes laissées par les doigts puisqu’elles témoignent de l’expérience humaine derrière le film. Quant aux objets, l’optique est sensiblement la même. J’ai une fascination particulière envers ceux qui portent les marques du temps. L’usure c’est le récit de toutes choses, un passage dans le temps et une histoire qui souvent est bien humaine. Cela nous permet de comprendre le travail acharné d’un ouvrier par exemple. Jusqu’à un certain point cela m’émeut et ce rapport m’interpelle puisqu’il transcende l’objet lui-même. En ce sens, l’animation en volume « stop motion » est une technique intéressante puisqu’elle permet par la mise en scène de magnifier l’état de l’objet ainsi que celle de la matière.
Selon vous, le sujet est-il celui dont on énonce l’action ou celui qui est soumis à l’action ?
Je dirais spontanément les deux puisque dans le film, il s’agit de la même personne. C’est entre autres pour cette raison que je trouvais le titre « Le Sujet » intéressant. Lors de la pré production, en discutant avec mes collègues, je me suis rendu compte que mes préoccupations autour de ce film étaient tellement introspectives qu’il devenait logique que ce soit mon double qui se retrouve là, sur la table d’autopsie: un sujet qui serait à la fois mon terrain de jeux et mon champ de bataille. Deux personnes, un seul sujet.
Comment avez-vous travaillé sur la musique ?
J’ai d’abord fait une première version. Cependant, les sons du logiciel utilisé n’étaient pas convaincants et mon approche était trop inspirée par les codes du film d’horreur, trop appuyée et sensationnelle, négligeant le côté humain, émotif et introspectif du film. J’ai donc repris le travail au tout début en utilisant de vrais instruments : des guitares, basse, percussions, harmonium et voix. J’ai composé des thèmes simples mais d’avantage porteurs d’émotions. J’ai été bien conseillé par mon équipe et malgré l’infinité de possibilités, je pense que cette approche convient parfaitement au film.
Vous est-il déjà arrivé d’avoir des pannes d’inspiration ? Comment travaillez-vous votre créativité ?
Mais oui, je suis souvent en panne d’idées… ou en panne de bonnes idées! Comme je le dis souvent, une bonne idée c’est quand le feu s’allume dans le Plexus solaire; une image pour signifier l’effet de l’excitation. Cela n’arrive pas si souvent, mais c’est ce qui me permet de faire le trie entre les bonnes et les moins bonnes idées. J’avoue cependant être plus prolifique lorsque je travaille sous pression.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
L’une des particularités de cette production réside dans le fait qu’il n’y avait pas de scénario classique au préalable, seulement les grandes lignes d’intentions pour le début et la finale. C’est ce qui m’a permis de travailler avec l’inspiration du moment pour inventer le chemin à suivre. Bien sûr, la technique d’animation en volume demande un minimum de préparation de par sa nature. Je travaillais donc toujours avec un ou deux coups d’avance soit la prochaine scène et / ou la scène suivante à tourner. C’est donc un film qui s’est écrit en parallèle au tournage et qui s’inscrit dans un temps donné. Je pense que ce genre de liberté en format long serait très difficile à appliquer, l’idée serait presque impossible à vendre et le concept risquerait de s’essouffler après un certain temps.
Le sujet a été projeté en compétition labo.