Dernier verre avec Le temps d’une nuit
Entretien avec Alice Fargier, réalisatrice de Le temps d’une nuit
Comment vous est venue l’inspiration pour Le temps d’une nuit ?
Une amie a disparu sans me donner signe de vie pendant plusieurs mois. Je la retrouve, euphorique, à une fête chez quelqu’un que je ne connais quasiment pas. La soirée se prolonge en trio jusqu’au petit matin. Une nuit hors du temps.
Je me suis ensuite éloignée de la réalité et j’ai fait un long travail sur les personnages, sur leur passé biographique, l’exacte nature de leur relation afin de les rendre aussi complexes que je le pouvais. Si on regarde le film une deuxième fois, on peut s’apercevoir de ce genre de détails. Cette nuit particulière est un moment charnière dans la vie des trois personnages, un point de bascule. Pour filmer cet extrait de leur vie, il me fallait construire les éléments fondateurs de leur relations passées (l’amitié d’enfance Nora/Camille ; la relation ambiguë Samuel/Nora qu’ils nouent depuis 10 ans) et que je puisse me projeter dans l’éventuel futur de leurs relations (entre eux trois), c’est à dire comment les cartes seront rebattues après cette nuit-là. Il y a certains éléments biographiques des personnages dont j’avais fait part à Natalie Beder, qu’ignorait Salomé Richard et vice versa. Nous avons fait plusieurs répétitions avec le trio réuni avant le tournage et j’ai vu Natalie plusieurs fois seule. Une de mes premières envies était de filmer une fête comme lieu de retour à la vie après un isolement. Une vitalité qui s’exprime chez un personnage (Nora) qui a disparu pendant un moment. J’avais également le désir de mettre en scène une personne (Camille) qui regarde une autre personne (Nora), posant, par son comportement, une énigme. L’énigme de ses désirs profonds, de ses intentions.
À quel point êtes-vous intéressée par la thématique des relations sentimentales et envisagez-vous de réaliser d’autres films sur ce sujet ?
La littérature que j’apprécie le plus est celle qui explore la confusion des sentiments, les désirs contradictoires, ce qui vibre à l’intérieur des personnages. Au cinéma, pour que ces relations sur le papier prennent vie, pour qu’elles aient une densité, une profondeur, c’est une affaire de mise en scène : de choix de cadre, de mouvement de caméra et bien sûr de direction d’acteurs, ce qui me passionne. Dans mes prochains films, il sera aussi question de relations amicales et amoureuses.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport au corps et aux contacts ?
J’aime filmer les corps qui se rencontrent. La joie de la danse et la sensualité qui en émerge, pour moi, c’est la vie ! Et c’est le vivant que je veux capter. J’aime filmer les peaux. J’aime être près des corps, que ma caméra les caresse pudiquement. J’ai eu un grand-père tuberculeux qui ne pouvait pas prendre dans ses bras sa propre fille. Ma mère a hérité de cet interdit. Je crois que c’est en partie pour cela que filmer le rapprochement des corps m’intéresse autant. Ce qui se joue au-delà des mots, dans une étreinte, dans une danse, dans une caresse. Au contact l’une de l’autre, lors de cette nuit de retrouvailles, quelque chose de Nora passe chez Camille.
Y a-t-il une suite à Le temps d’une nuit ?
Peut-être.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Il me semble que le court métrage, par son indépendance, souffre moins de la crise actuelle. Les réalisateurs aujourd’hui font de plus en plus de courts avant de passer au long et même après, ils y reviennent. C’est un espace de liberté. Il pourrait y avoir une plateforme VOD dédiée au court métrage. Mais rien ne vaut la salle pour les apprécier…
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Les inséparables, l’inédit de Simone de Beauvoir. La série Le jeu de la dame, magnifique portrait de femme. Les bandes dessinées de Fabcaro à mourir de rire. Le premier album du groupe SÜEÜR (qui a composé une des chansons de la bande originale). Le premier album du groupe KILTRO (dont une des musiques est diffusée pendant la fête). Et bientôt le premier album d’Arthur Brossard (sous le pseudo de Visconti) qui a composé la chanson finale du film.
Pour voir Le temps d’une nuit, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F4.