Lunch avec Blanquette
Entretien avec Charlie Belin, réalisatrice de Blanquette
Pourquoi avoir opté pour la blanquette, au lieu du gigot ou du rôti ?
Gigot, rôti, pot-au-feu… N’importe quel plat cuisiné traditionnel français aurait pu faire l’affaire. Le film a été conçu à partir d’un montage son de 8 repas enregistrés dans ma famille, chez mes grands-parents. En réalité, les conversations se croisent autours d’un patchwork de plats et de desserts différents mais j’ai choisi la blanquette car c’est un classique familial, ç’est en mangeant une blanquette avec eux que l’idée du film m’est venue, et ça tombait bien dans la sonorité avec le « blan » de blanquette faisant écho au blanc omniprésent dans le film.
Pourquoi ne voit-on jamais la cuisine de Blanquette ?
Je voulais resserrer l’espace autour de la table, comme une scène, un théâtre de personnages assis en rond, côte à côte. L’idée du film pourrait tenir en un dessin. Une ronde de trois générations attablée autour d’un repas. L’espace de la cuisine comporte beaucoup d’autres enjeux, c’est une autre scène (j’avais un format de 4 minutes imposé pour ce film de fin d’études). Le fil conducteur, c’est le rythme de ce repas, de l’entrée jusqu’au dessert. Le spectateur est un convive à table.
Pourquoi avoir choisi ce type d’animation « crayonné » ?
C’est comme ça que je dessine, j’aime bien les esquisses. J’ai besoin d’avoir un dessin un peu jeté pour avoir l’impression de sentir vivre les personnages que j’anime, c’est un peu comme un croquis rapide, ce qui m’intéresse c’est l’expression, le geste, le spontané.
Vouliez-vous particulièrement donner à voir la couleur blanche dans le film ou est-ce seulement une conséquence picturale si elle ressort autant ?
Le blanc du film était très important pour moi car il laisse de la place au son. J’ai travaillé à partir de captations dans une vraie cuisine / salle à manger, pleine de bruits de couverts, de cuissons, de mastications, d’éclats de voix. Ce brouhaha teinte le film d’un grain, d’une couleur et d’une température sonore. C’est une présence enveloppante qui prend beaucoup d’espace, il fallait selon moi laisser respirer l’image, ne pas tout dire ni tout illustrer. Le son permet au spectateur de projeter aussi beaucoup d’impressions dans ces espaces blancs.
Pourquoi avoir choisi d’effacer le tracé au fur et à mesure du film, comme si chaque seconde disparaissait pour laisser place à la suivante et qu’il ne restait pas de trace ?
C’est comme ça que je voulais mettre en scène ce repas, c’était une manière visuelle de traduire ce moment éphémère. Qu’il s’agisse des petits gestes du quotidien, de conversations bénignes, de plats qui se vident…et des générations qui passent.
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Avez-vous pour habitude de dessiner dans des endroits du quotidien, de « croquer » ? (ndlr : On appelle « croquer » le fait de tracer une esquisse en quelques traits de crayon une personne, un paysage ou un objet, sans approfondir le dessin.)
Oui, c’est quelque chose que j’aime particulièrement faire. J’ai beaucoup dessiné ma famille pendant tous ces repas. Et je suis fascinée par la captation sonore, qui est aussi une autre forme de croquis.
Êtes-vous intéressé(e) par la thématique du temps qui passe ou celle du « manque de temps » au quotidien ?
Je suis intéressée par la thématique du quotidien. Mais effectivement, je crois que ce film était aussi une manière de cristalliser un moment donné, de figer dans le temps quelque chose qui va disparaître. Ce n’est pas comme une photo, un enregistrement sonore, c’est déjà quelque chose qui existe sur une durée et qui témoigne d’un type de langage, d’une humeur, d’un ton et d’un rythme. Après, j’en fais tout autre chose, ça se transforme en fiction, mais la base, c’est un instant de vie attrapé et fixé dans une autre temporalité.
Pourquoi avoir choisi de placer vos convives autour de cette table, plutôt qu’une table basse ou une table ronde, par exemple ?
La table ronde pour 8 convives, c’est peu commun, c’est pour ça que j’ai choisi une table ovale, plus conviviale qu’une table rectangulaire et ou je pouvais chorégraphier ma ronde de personnages.
Pensez-vous que le téléphone ait sa place à table ?
Je ne porte pas de jugement là-dessus, c’est un constat que j’ai pu faire dans ma famille, dans la génération des dix-huit, vingt ans, ils posaient tous leurs téléphones sur la table, à coté de leur couverts.
Le « repas de famille » présenté dans Blanquette peut-il être considéré comme un rite culturel ?
Oui, c’est sous cet angle-là que j’ai eu envie de l’observer. Beaucoup de gens après avoir vu le film m’ont dit avoir reconnu leur propre famille dedans.
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Dans Blanquette, vous interrogez les relations intergénérationnelles. Vouliez-vous créer un sentiment d’ensemble ou relever plutôt un manque quant à ce sentiment ?
Un peu des deux. J’ai conçu le film comme si il était composé de trois chœurs : les quatre jeunes, les deux tantes et les deux grands-parents. Les jeunes sont toujours représentées ensemble, les tantes aussi. Les conversations circulent d’abord entre ces petites bulles d’intimité générationnelles, mais il y a des croisements, les bulles éclatent et circulent avec un plat qu’on passe, une question qu’on pose, un téléphone qu’on fait passer. Les grands-parents sont les seuls à être représentés parfois isolés dans le cadre, esseulés par leur surdité ou par un léger moment d’absence.
Les échanges entre les différentes générations peuvent créer des décalages socioculturels mais le film exprime surtout un moment de partage. Le fait de manger ensemble et d’être autour d’une table favorise cet espace de dialogue, parfois juste pour demander le sel mais aussi par curiosité ou amusement de l’autre. Il y a beaucoup de plans d’ensemble, des rires confondus, le repas est peut-être un des moments les plus propices à rassembler des générations entre elles.
Pensez-vous qu’actuellement, la structure sociale de la famille passe par une forme de paternalisme ?
Dans le film, J’ai placé le grand-père en personnage principal, un peu comme un chef d’orchestre trônant en bout de table. La structure narrative se construit autour de lui. Cependant, il y a une certaine autodérision chez ce protagoniste, et en le faisant intervenir de manière récurrente, j’en ai aussi fait le personnage comique du film. Je pense que l’image de paternalisme qu’il peut présenter est un peu du second degré, bien qu’elle découle d’une culture et d’une société patriarcale. Les mœurs bougent, il représente l’autorité mais tout le monde rit de ses frasques et il s’endort sur son assiette à la fin du repas. Il n’est pas, selon moi, la figure de l’autorité du père de famille classique. Au contraire, il y a une certaine légèreté dans ses paroles qui laisse place à un sentiment de liberté. Si on observe la grand-mère, elle occupe également une place importante, elle trône tout autant à l’image dans le cadre, bien que plus silencieuse.
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner la cellule familiale et la « méga » cellule sociétale ?
Je ne sais pas s’il y a un bon outil en particulier pour questionner ce sujet, il est très vaste ! Pour ma part, j’avais la contrainte de faire un film très court. Dans Blanquette, je ne souhaite pas porter un jugement ou une réflexion intellectuelle sur la cellule familiale, j’en fait plutôt une proposition sensorielle, c’est un point de vue subjectif sur ce moment de partage, basé sur une récolte d’anecdotes et je pense que le format court se prête assez bien à ce type de narration.
Blanquette a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français » : rattaché des références cinématographiques, construit un contexte spécifique (dans une région par exemple) ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?
Blanquette est mon film de fin d’étude de l’école de la Poudrière, une école de réalisation de cinéma d’animation à Valence. Quand j’ai commencé à travailler sur Blanquette, j’ai pas mal regardé les scènes de repas dans les films, notamment dans les classiques et dans le cinéma français. J’avais aussi en tête des chorégraphies de danse contemporaine avec des rondes et des jeux gestuels (Une scène du spectacle Racheter la mort des gestes de Jean Claude Gallotta m’a beaucoup inspirée) et j’avais également en référence The Da Vinci Time Code de Gil Alkabetz, astucieux montage du tableau de la Cène qu’il a transformé en film chorégraphié par un jeu de raccords et de recadrages dans l’image.
Pour ce qui est du contexte, ce repas est construit sur une base documentaire, chaque dialogue est réel, rien n’a été joué. C’est donc bien la mise en scène d’une famille française de la banlieue grenobloise. J’ai essayé de couper tout ce qui pouvait être trop caractéristique de cette famille en particulier pour ne garder que les choses les plus communes et universelles. J’avais bien conscience de mettre en scène un rituel très lié à un milieu, à une époque et à un pays. Mais j’ai rencontré il y a quelques jours une Libanaise qui m’a dit avoir reconnu dans les personnages des gens de sa famille et ce moment de partage de repas lui paraissait très familier !
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Pour voir Blanquette, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F1.