Lunch avec Je ne suis pas un cygne
Entretien avec Armand Lameloise, réalisateur de Je ne suis pas un cygne
Pourquoi avoir choisi de faire une comédie sur la prostitution ?
Je ne l’ai pas choisi. Ce qui m’intéressait quand j’ai commencé à me raconter cette histoire, c’était l’incongru, quelque chose à voir avec le surréalisme, la nuit, Les enfants terribles de Cocteau, raconter une ado qui se questionne sur un modèle maternel qui ne lui ressemble pas, et aussi réaliser une vraie séquence de comédie musicale. Je n’ai pas vraiment pensé au genre, je ne sais pas si ce film est une comédie, je voulais faire un film tendre, amusant, décalé. Mon film n’est pas non plus un film sur la prostitution, en tout cas pas comme le reflet d’une réalité sociale. C’est le job d’étudiant de mon personnage principal, rien de plus, je ne voulais porter aucun jugement moral sur cette activité. Pierre est un garçon à la sexualité épanouie, c’est lui qui a fait ce choix de petit boulot, il préférait ça que d’aller bosser au McDo, il n’a pas l’air de le regretter. C’est surtout un film sur la jeunesse, sur le désir, sur une jeune fille qui veut grandir, et qui cherche à travers cette rencontre à se rapprocher ou à s’éloigner d’une mère absente ou peut-être trop présente…
Auriez-vous pu faire le même film avec une femme comme personnage principal ?
Sûrement, mais ce film s’est écrit sur l’envie de travailler avec Axel Giudicelli, jeune comédien que j’ai eu comme élève au Cours Florent. Axel dégage quelque chose d’assez sexy je trouve, c’est un bel objet de désir !
Dans Je ne suis pas un cygne, votre personnage principal est désiré par trois femmes. Comment vous est venue l’idée de cette polygamie ?
Il ne s’agit pas vraiment de polygamie, Pierre n’a qu’une “conjointe” dans cette histoire, Anna. Pour le reste, il n’est question que de liberté. Pierre n’est jamais cynique, il aime les gens qu’il rencontre. Anna est la fille qu’il aime, Hélène une cliente qu’il apprécie et Chloé, peut-être la petite sœur qu’on rêve tous d’avoir.
Dans Je ne suis pas un cygne, vous questionnez la déception et l’incompréhension dans une relation mère-fille. Pourquoi étiez-vous intéressé par le fait de montrer cet échec ?
C’est peut-être la seule dimension autobiographique de ce film. Grandir devant des parents qui ne retrouvent pas ce qu’ils avaient projeté au moment de la grossesse, ça peut être compliqué pour l’enfant comme pour les parents. L’idée d’avoir été secrètement adopté ou trouvé sous un porche est une idée commune chez beaucoup d’enfants je crois… Enfin j’en sais rien, mais moi j’ai grandi avec cette idée là, qui aujourd’hui m’amuse assez. Je n’ai pas d’enfant mais j’imagine que quand le premier arrive (et je suis l’aîné de ma fratrie), on projette, consciemment ou pas, beaucoup de soi dans son enfant… et que parfois, on se retrouve devant un enfant qui nous semble totalement étranger. La vie n’est pas un long fleuve tranquille !
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Comment vous est venue l’idée de la séquence sur Kilimandjaro ?
La musique, et plus particulièrement la chanson, fait partie de mon quotidien. Je ne vis qu’en musique, au grand dam de mes proches. Le silence m’est complètement étranger. J’écris toujours en musique, en chansons. Je rêve de réaliser une comédie musicale. Dès qu’une histoire me permet de basculer dans la chanson, la musique ou la danse, je fonce. Et puis narrativement ça me semblait juste de basculer à ce moment-là dans une séquence onirique… et au vu des verres de whisky avalés, ça me semblait tout à fait crédible.
J’avais écrit il y a une dizaine d’années maintenant une comédie musicale que mon producteur à l’époque n’a pas réussi à financer. Elle reposait sur le répertoire français des années 30 à 50. J’avais écouté beaucoup de chansons à cette époque, Fréhel, Marie Dubas, Annie Cordy, Bourvil, et certaines, comme “Kilimandjaro”, continuaient à me trotter dans la tête…
Selon vous, est-ce que l’on cesse d’être un enfant ?
C’est une question de choix. Certains cherchent à tourner le dos à leur enfance, à s’affranchir d’une période pas toujours heureuse. D’autres essayent de ne pas trop grandir… Un des chocs cinématographiques de mon adolescence a été Le tambour de Volker Schlönorff, je reste vigilant à ne pas trop grandir, à ne pas devenir trop sérieux, et faire du cinéma me permet de conserver un peu de cette âme d’enfant.
Avez-vous écrit Je ne suis pas un cygne tel quel ou était-il dans votre esprit une partie d’un tout plus grand, incluant un « avant » et un « après » ? Ne vouliez-vous pas donner à voir les différentes bascules qui amènent Pierre à prendre cette route ou/et développer la question d’une relation amoureuse ?
Le scénario a toujours fait 12 pages, mon imagination n’est jamais allée plus loin. Le film est le juste reflet du scénario. C’est le film le plus court que j’ai écrit. C’est même le seul scénario de court que j’ai écrit et qui ne m’a pas donné envie de le développer sous une forme plus longue. Je trouve qu’il fait la bonne durée.
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Qu’est-ce que cela aurait changé de placer votre personnage dans un cadre plutôt rural que dans une grande ville ?
J’ai longtemps vécu à Paris, je suis maintenant dans un hameau d’une cinquantaine d’habitants, loin de tout. Ce film est un huis-clos, je pense que ça n’aurait pas changé grand chose. Ah si, les déplacements auraient été plus longs. La vie à la campagne c’est surtout une question de distances…
Votre personnage principal affiche très peu d’émotions et semble heureux de vivre de la prostitution. Pourquoi avoir créé cet effet de détachement ?
C’est ce qui m’a le plus tracassé sur ce film, j’avais peur que Pierre se fasse bouffer par les personnages féminins. Pierre est à l’aise dans ses baskets, il est sympathique, ce n’est pas les personnages les plus simples à faire exister dans un film. Il me fallait un comédien charismatique. J’ai imaginé ce personnage un peu comme Paul Morrissey a dû travailler avec Joe Dallessandro. L’utiliser charnellement, physiquement.
Concernant la musique et les chansons, comment faites-vous vos choix et avez-vous facilement pensé à “Kilimandjaro“ ?
“Kilimandjaro” s’est très rapidement imposé, et avec une telle évidence, que j’ai bien sûr écouté des tas d’autres chansons pour tester ce choix. Mais c’est toujours cette chanson qui revenait. Ce qui a été le plus difficile concerne plus les arrangements, la chanson date de la fin des années 50, il fallait lui trouver une nouvelle jeunesse sans altérer sa poésie, sa dimension surréaliste. Je ne suis pas musicien mais j’avais déjà travaillé avec Jean-Jacques Nyssen, l’arrangeur de la chanson. Je savais qu’on se comprenait sans difficulté.
Pensez-vous que le court métrage soit un bon outil pour questionner les relations humaines et la « méga » cellule sociétale ?
Bien sûr, mais ni plus ni moins que le long métrage. C’est du cinéma, tout simplement.
Je ne suis pas un cygne a été réalisé avec une production, une coproduction ou en auto-production française. Avez-vous écrit ce film en considérant cet aspect « français » : rattaché des références cinématographiques, construit un contexte spécifique (dans une région par exemple) ou intégré des notions caractéristiquement françaises ?
Je suis complètement français, je voyage très peu, ne parle aucune langue étrangère. Je n’en suis pas fier mais c’est comme ça. Le cinéma que j’aime, les comédiens qui me font rêver sont très souvent français. C’est une culture que j’adore, ça tombe bien.
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Pour voir Je ne suis pas un cygne, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F11.