Lunch avec Tout va rentrer dans le désordre
Interview de Cheyenne Canaud-Wallays, réalisatrice de Tout va rentrer dans le désordre
Comment avez-vous eu l’inspiration pour ce film et qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport au désordre ?
J’ai travaillé au marché pendant des années en parallèle de mes études. Le désordre est inhérent au marché. C’est un lieu très riche qui offre un large panel de situations et de rencontres. Des individus de tous les milieux sociaux se croisent et se retrouvent au même endroit avec le même objectif : acheter à manger. Socialement, c’est une grande source de réflexion et d’inspiration, ce qui m’a donné envie d’en faire un film.
Avec quelles techniques avez-vous construit l’image ? Comment avez-vous donné cette impression que les bananes sont coupées dans du papier ?
À travers ce projet j’utilise un procédé qui mélange le dessin papier, le dessin numérique et la 3D. J’ai construit tout mon décor de marché en 3D, avec un rendu dessiné en travaillant toutes les textures à la main, en utilisant crayons et pastels. De cette manière, une fois le décor terminé, je n’avais plus qu’à faire naviguer ma caméra à l’intérieur et choisir mon angle de vue en fonction des plans. Cela m’a permis de garder un décor détaillé, fourmillant d’éléments. Un marché doit grouiller. Pour les bananes (comme tous les autres objets), j’ai vraiment dessiné sur du papier, puis mis en volume dans le logiciel 3D, ce qui donne cette impression 2D tout en ayant un volume réel. Tous les personnages sont texturés en 2D numérique, afin de bien s’intégrer au décor. Les clients sont très épurés pour focaliser l’attention sur les deux frères qui eux sont plus détaillés.
La chanson de fin du film a-t-elle été écrite après le scénario ou avant ? Quelle est sa part de source d’inspiration au film ?
Dès le début, j’avais l’idée de mettre une musique à la fin. J’avais en tête le style de la chanson et le sentiment que je voulais donner au spectateur mais j’ai écrit la chanson après le scénario. C’est au milieu de la production, quand je réalisais l’animation, que j’ai écrit les paroles pour que le musicien puisse composer la musique. Cette musique était très importante pour moi, je voulais qu’elle réveille un peu le spectateur après la dernière partie du film, qui est plus calme et dans l’émotion. Je voulais une musique gaie et décalée qui viendrait relancer la vie des personnages.
Pourquoi n’était-il pas intéressant d’en dire davantage sur vos personnages, leur emploi, leur vie personnelle… ?
J’aurais aimé pouvoir ! Mais en 4 minutes, je n’ai pas eu le temps. C’est un film d’école et je n’avais pas le choix quant à son format, ce qui m’a limitée dans mes propos. Cela m’a obligée à me concentrer sur le cœur de l’histoire (les deux frères) et résumer ce que je voulais raconter sur le marché et sur la société. J’ai dû me concentrer sur la trajectoire émotionnelle des deux frères pour les rendre attachants. J’ai néanmoins essayé de rendre clairs des petits détails (ex : la pression financière du découvert).
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apporté en particulier ?
Oui, absolument. Ce court-métrage m’a permis une grande liberté graphique. Je pense qu’il y a des formes d’expression graphique possibles en court-métrage qui seraient indigestes en long métrage. Néanmoins, cette contrainte des 4 minutes était un peu frustrante car j’avais beaucoup d’envies pour ce film. Je tenais à développer plusieurs émotions : des moments dramatiques (ex : quand Adel, déguisé en banane, perd pied et se retrouve écrasé par toutes ses bananes) ou des instants tendres, mais globalement empreints d’humour. Tout ça en voulant parler de la société et de la complexité des rapports humains. C’est dense et j’ai été obligée de faire des concessions. Pour moi, le film aurait gagné en qualité avec juste 2 petites minutes de plus. Malgré tout, c’était un exercice super intéressant de synthétiser mes idées en seulement 4 minutes.
Quelles sont vos œuvres de référence ?
Pendant l’écriture de mon film, j’ai regardé plusieurs fois Un air de famille de Cédric Klapisch. Je pense que la singularité comique du travail de Jacques Tati ou d’Albert Dupontel m’a aussi inspirée. Roy Andersson également. Mes inspirations proviennent aussi de la musique (ex : l’univers de Philippe Katerine).
Pour voir Tout va rentrer dans le désordre, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F8.