Breakfast avec Oripeaux
Entretien avec Sonia Gerbeaud et Mathias de Panafieu, réalisateurs de Oripeaux
Comment vous est venue l’idée d’Oripeaux ?
Nous avons commencé à écrire ce film en voyage, en associant les images et les sensations captées sur la route.
Nous avons croisé des peaux qui finissaient de pourrir sur des barbelés dans une petite vallée perdue et nous avons imaginé ce que raconteraient ces dépouilles si elles pouvaient parler. L’idée d’Oripeaux a doucement germé et nous y avons mêlé nos envies communes et les thèmes qui nous sont chers. Puis nous sommes rentrés en France pour nous fabriquer un petit studio-maison et prendre le temps de réaliser ce premier film.
Vous travaillez à deux, comment vous répartissez-vous le travail de réalisation ?
Moitié moitié ! De l’idée initiale au générique final, tout a été fait à quatre mains. Que ce soit le scénario, les recherches graphiques, les notes d’intentions (rude exercice !), le storyboard, l’animation, la colorisation ou le montage, tout est un mélange de nos deux univers et un travail d’échanges permanent. Pour avoir une plus grande cohérence dans l’animation, nous nous sommes répartis les différents personnages, mais il est souvent arrivé qu’un mouvement commencé par l’un soit terminé par l’autre…
L’animation est très esthétique, on dirait qu’il s’agit de peintures animées ? De tableaux… On ne peut pas s’empêcher de faire le lien avec les « tableaux de chasse », est-ce un effet voulu ? Trouve-t-on toujours cet effet de peinture dans vos autres films ?
Dans nos précédents travaux, que ce soit nos films de fin d’études, nos illustrations ou des fragments de voyages animés, nous étions surtout concentrés sur le travail de la ligne et du dessin, de la vibration et l’énergie du trait. Les couleurs y étaient surtout présentes sous forme de petites pointes qui venaient souligner les tracés. Tout le travail de colorisation du film a donc été une nouvelle expérience pour nous, une sorte de défi ! Nous avons pas mal bossé pour arriver à créer des ambiances aquarellées qui puissent vraiment raconter l’univers de notre film. Les décors de nuit nous ont donné du fil à retordre, mais nous nous sommes régalés à les faire !
Par contre, nous ne nous étions jusqu’à maintenant jamais posé la question de la ressemblance avec des tableaux de scènes de chasse !
Dans Oripeaux, le personnage principal évolue dans son environnement initial mais découvre à sa portée un nouvel environnement qu’il va vouloir explorer. Comment avez-vous conçu ces deux environnements ?
Ces deux mondes sont volontairement opposés, que ce soit du point de vue graphique, chromatique ou sonore.
Il y a d’un côté la plaine d’herbes sèches, jaune et verticale, monde humain musical et bruyant, avec ses éclats de voix et le grincement des vieilles tôles. De l’autre côté, derrière les barbelés, s’étend la forêt bleue-verte et ses grands troncs clairs, que nous avons imaginé comme le monde du non-humain, sombre, mystérieux et beaucoup plus silencieux. Ces deux mondes bien distincts nous permettent d’accentuer l’importance du passage de nos personnages de l’un à l’autre.
Il y a des petits bouts de nos voyages dans chacun de ces lieux : l’atmosphère de bout du monde des bayous, les maisons bancales de l’île de Chiloé, les vieilles éoliennes grinçantes de Nouvelle-Zélande, les forêts sombres et fraiches de Finlande et l’immense ciel gris patagonien.
Le monde des coyotes semble être une représentation métaphorique de l’étranger, de l’inconnu. Est-ce volontaire ?
Oui c’est en effet volontaire, nous avons vraiment pensé notre film comme un conte à plusieurs niveaux de lecture qui, derrière un conflit homme-animal, pose plus généralement la question du rapport dominants-dominés, de la relation à l’autre et de la peur de l’inconnu.
Nous nous sommes amusés à construire Oripeaux comme un jeu de miroir où les hommes finissent par ne plus distinguer la limite qu’ils avaient tracé entre eux et les autres, perçus d’abord comme des animaux avant de devenir de troublants reflets.
Dans la mythologie amérindienne, le coyote a une place particulière. Les amérindiens considèrent le coyote précisément comme un animal qui donne des leçons mais aussi qui apporte du secours par ses raisonnements. En France nous avons la version locale, le renard, qui est un animal rusé permettant de découvrir une connaissance, parfois aux dépens de celui à qui il enseigne ses leçons de vie.
Est-ce que vous avez choisi d’utiliser des coyotes dans votre film en rapport avec ces mythologies ou est-ce que vous aviez d’autres raisons pour faire ce choix ?
C’est vrai qu’il est assez amusant de voir que dans beaucoup de traditions, les coyotes ou les renards jouent souvent le même genre de rôle (dans la culture japonaise, ils ont justement un don de métamorphose pour tromper les humains) et notre film s’appuie sur cette image commune du canidé sauvage qui en sait plus qu’il n’y parait.
Mais notre choix s’explique aussi par le côté social des coyotes qui vivent en meute et par l’étiquette de » nuisibles » qui leur est souvent associée. Ce sont des animaux que l’on peut trouver à proximité des hommes et qui s’aventurent de plus en plus en ville, vivant cachés et fouillant les poubelles, comme une nouvelle population de parias urbains.
Nous sommes aussi attachés aux coyotes pour leur côté ambivalent : ils peuvent se fondre dans les herbes hautes et s’éclipser mais aussi se dresser et mordre.
Et pour ne rien gâcher, ce sont des animaux vraiment agréable à animer !
Enfin, vous montrez dans Oripeaux la nécessité d’une émancipation. Aviez-vous en tête durant la réalisation d’autres situations qui pour vous exigent l’émancipation ?
En fait, l’émancipation est à nos yeux une condition nécessaire à toute réflexion, que ce soit dans le domaine créatif ou politique.
Dans notre film, la fillette questionne les codes de sa propre culture et réalise que certains sont injustes et qu’elles ne veut pas les accepter. Elle choisit donc de bouleverser les normes et les habitudes qui pouvaient jusqu’ici sembler logique pour créer de nouveaux codes.
Ce choix d’autonomie du regard est pour nous quelque chose d’essentiel, une sorte de gymnastique de questionnement qu’il faut cultiver.
C’est en tout cas dans cette énergie que nous voulons continuer à faire des films.
D’autres participations sont-elles prévues durant le festival ?
Malheureusement non ! Nous avons travaillé pendant trois ans sur ce film et une fois fini, l’envie de repartir voyager était bien trop forte !
Nous sommes en ce moment en train d’accumuler de nouvelles images sur la route pour réécrire notre prochain film…
Nous avons plein de choses à dire et à développer sur Oripeaux et c’est vrai que c’est assez frustrant de ne pas être présents pour réagir aux questions et voir enfin notre film sur grand écran !
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Pour voir Oripeaux, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F5, SCO et Collection 2.