Dernier verre avec Panthéon Discount
Interview de Stéphan Castang, réalisateur de Panthéon Discount
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport au diagnostic médical ?
Tout d’abord, Panthéon Discount est né d’une proposition de Pascale Faure et Brigitte Pardot des programmes courts de Canal+ pour leur dernière Collection : « Demain si j’y suis » (diffusée intégralement dans le cadre du festival 2017, ndlr). La commande était claire pour chaque réalisateur : écrire et réaliser un film se situant en 2050 (au final, il y a sept films). Pour nourrir l’écriture du film, nous étions invités à assister à des conférences sur le futur (dans tous les domaines : travail, urbanisme, agriculture, médecine…). Nous apprenions que la machine pourrait guérir toutes sortes de maladies graves, que nous allions même vivre jusqu’à 200 ans, etc. Cette perspective me semblait effrayante (déjà vivre jusqu’à 200 ans ne m’apparaît guère enthousiasmant). Je me suis tout de suite intéressé à l’aspect financier d’un diagnostic et de son traitement donné par une machine…
Étiez-vous davantage sensible à la place du médecin qui « donne » le diagnostic ou à l’aspect déductif de ce diagnostic ?
Je me suis juste posé la question suivante : si la machine guérit de tout, que devient le docteur en tant que personne ? L’hypothèse du film, c’est que le médecin du futur est plus un conseiller financier qu’un thérapeute. Ainsi, nous suivons trois patients en parallèle qui montrent que suivant leurs moyens, ils n’auront pas droit aux mêmes soins. Nous ne sommes pas loin de notre réalité d’une certaine façon…
Pourquoi vouliez-vous questionner le rapport entre capacités financières et choix médicaux ?
Ce qui m’intéressait, c’était de me servir du genre de l’anticipation pour pousser ce rapport jusqu’à l’absurde. Parce qu’il m’a semblé que cette absurdité permettait de parler de façon assez concrète d’une marchandisation de l’humain. Je ne voulais pas en faire un objet “social“ mais avant tout un court métrage sur deux individus, les patients, confrontés à un autre individu, le médecin. D’où le choix d’une forme simple, d’être toujours du point de vue du médecin en voix-off, d’un champ qui attend la fin du film pour avoir son contrechamp, pour découvrir le visage du docteur et se rendre compte que lui aussi est victime quelque part d’un certain fonctionnement…
Auriez-vous pu construire Panthéon Discount sur d’autres contraintes, des obligations légales par exemple ?
D’une certaine façon, le film traite du contenu de votre compte en banque comme d’une “obligation légale“… Une “obligation légale“ serait révélatrice de l’idéologie d’un état autoritaire, voire totalitaire. Nous ne sommes pas dans ce schéma, l’ultra-libéralisme se revendique comme pragmatique et ne relevant d’aucune idéologie… Ce qui est faux bien sûr…
Que pensez-vous du système de sécurité sociale français ? Permet-il de faire justement des choix différents de ceux limités par les capacités financières de chacun ?
Je pense surtout que tous les prétextes sont bons pour taper dessus…
Que pensez-vous des débats politiques actuels, en vue des élections, autour de cette institution ? Aviez-vous cette actualité en tête quand vous avez réalisé Panthéon Discount ?
J’ai réalisé le film bien avant que le cirque autour de la présidentielle se mette en marche mais on voit bien le programme de certains candidats : il y a toujours la tentation de remettre en cause la définition même de service public. C’est à l’appréciation de chacun, mon avis sur cette question importe peu… Je ne tiens pas à rajouter un commentaire de plus au bruit du moment…
Dans Panthéon Discount, vous jouez avec l’illogisme des situations présentées, aimez-vous particulièrement l’absurde ?
J’aime surtout l’humour qui s’en dégage… Il permet de rire de choses graves.
Vos deux personnages masculins s’opposent aux propositions médicales alors que le personnage féminin l’accepte, est-ce un hasard scénaristique ou cherchiez-vous à dénoncer l’ancrage d’une soumission que l’on considère « admissible » dans notre société ?
Toutes les interprétations sont possibles mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec votre “diagnostic“. Il y a deux personnages qui acceptent : celui de Jean-Pierre Kalfon résiste mais donne un accord de principe à la proposition du médecin. Pour le personnage féminin interprété par Martine Schambacher, elle accepte sans broncher de se faire effacer les souvenirs mais elle est dans une situation d’urgence. Le seul à s’opposer véritablement au docteur est l’aveugle (Christian Delvallée) qui ne veut pas être « améliorer », préférant continuer à vivre avec son handicap…
Enfin, vous questionnez en particulier le rapport que nous avons aux outils technologiques. Qu’est-ce qui vous intéressait dans le rapport aux « outils du futur » ?
La technologie dans Panthéon Discount est surtout un outil pour basculer dans la fiction. La machine du film, le “Sherlock“, est un prétexte pour parler du système de santé tel qu’il se dessine actuellement. C’est ce qui m’a toujours fasciné avec le genre de l’anticipation : sa capacité à parler des inquiétudes du moment en les transposant. Devant des films comme Soleil vert, ou La jetée, j’ai toujours l’impression qu’il ne s’agit pas tant de donner des images du futur que de transformer notre expérience du présent. C’est sûrement en souvenir de ces films que ma toute première intuition était de tourner ce film en noir et blanc, afin d’amplifier cette étrangeté…
Pensez-vous que la technologie soit un salut ou plutôt un danger pour l’humanité ?
Je n’en sais trop rien… Devant une nouvelle technologie, il faut toujours se demander si en échange du service, du nouveau pouvoir qu’elle nous donne, elle ne nous enlève pas une capacité. Un GPS me permet d’évoluer dans une ville que je ne connais pas mais je perds la faculté de m’orienter, l’usage des cartes, la représentation mentale… Je gagne du temps mais je perds un savoir, le plaisir de la découverte, le hasard…
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
Elle de Paul Verhoeven, In jackson Heights de Frederick Wiseman, Mercenaires de Sacha Wolff, Premier contact de Denis Villeneuve…
Si vous êtes déjà venu, racontez-nous une anecdote vécue au Festival de Clermont-Ferrand ? Sinon, qu’en attendez-vous ?
C’est la première fois que je me rends au festival… Comme j’ai quelques adresses de restaurants, je m’attends à prendre quelques kilos…
Pour voir Panthéon Discount, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F5.