Breakfast avec Quebramar (Brise-lames)
Entretien avec Cris Lyra, réalisatrice de Quebramar (Brise-lames)
Pouvez-vous nous expliquer le titre ?
“Quebramar” désigne une digue de pierres construite pour contrecarrer la force des vagues ou des courants qui risquent de submerger des terres. Lorsqu’on évoque entre nous le fait d’être lesbienne dans une société patriarcale et de ne pas correspondre aux clichés de la féminité, nous nous identifions à cette image (tirée d’un poème écrit par Lana, une des jeunes femmes du film) d’un mur qui fait corps, qui résiste pour rester lui-même.
Comment avez-vous rencontré les personnages du documentaire ? A-t-il été évident pour ces jeunes femmes de participer et de parler ouvertement ?
Nous les avons invitées plusieurs fois à boire des bières pour leur proposer de participer au film. L’idée était celle d’une création collective autour de nos corps, nos sentiments, nos désirs et nos peurs. Elles ont été partantes immédiatement, d’autant plus qu’il y a peu de films réalisés par des femmes lesbiennes qui nous montrent telles que nous sommes, sans le côté romantique ni fétichiste, ni tous ces clichés délétères que l’on retrouve lorsque les hommes parlent de l’amour entre femmes. Camila, productrice et régisseuse du film, m’a rejointe pour passer du temps avec les filles, qui ont commencé à nous inviter à presque toutes leurs activités, et nous ont proposé de passer le Nouvel An avec elles au bord de la mer. Nous avons accepté et filmé. L’année suivante, on était devenues amies et on se retrouvait chaque semaine ou toutes les deux semaines pour faire des choses ensemble. C’était toujours enrichissant en termes de conversations, mais on n’arrivait pas à façonner le film. J’attendais qu’elles prennent les choses en main, et elles attendaient bien sûr que ça vienne de moi. J’ai décidé de revisionner les images de la plage, un processus spontané qui a fini par nous inspirer pour la suite. J’ai compris que le film devait se passer à la mer et non à São Paulo, on a donc décidé d’écrire le scénario en se basant sur ces images. Nous y sommes retournées huit mois plus tard pour terminer le tournage. Chacune a choisi ce qu’elle avait envie de dire. J’ai fait des suggestions basées sur les discussions qu’on avait eues tout au long de notre parcours, des anecdotes qu’elles avaient racontées et qui m’avaient marquée pour une raison ou pour une autre. Mais c’était à elles de décider. Tout ça a demandé beaucoup de rencontres, de discussions. Quand il a fallu tourner, on était à fond, on voulait vraiment que ça se fasse. On se faisait confiance mutuellement.
Avez-vous dirigé les discussions ? Quelle a été la part d’improvisation ?
Les scènes issues de la première session de tournage (dans lesquelles on filmait sans trop savoir où on allait) sont totalement improvisées. La fête du Nouvel An, par exemple, et la scène sur la plage au clair de lune. La plupart des textes parlés étaient décidés à l’avance. En plus du contenu de chaque conversation, on décidait où elle aurait lieu, dans le bus, sur la plage, à la cuisine, etc. Pour moi, il fallait que chaque partie du film, chronologiquement, soit associée à chaque thème abordé. Par exemple, je voulais que la première scène évoque le fait d’être une femme sans être obligée de se comporter selon les critères imposés aux femmes – une sorte de prologue. J’ai donc demandé à Lana si on pouvait faire cette scène dans le bus, puisque le film s’ouvrirait probablement sur ce trajet en bus. Elle était d’accord. Mais ce sont ses mots à elle, son histoire à elle, qu’elle raconte à sa manière. Et on a fait pareil avec les autres.
Ces conversations sont-elles devenues plus fréquentes étant donné le nouveau contexte politique au Brésil (l’élection d’un dirigeant conservateur) ?
Dès 2013, la situation politique au Brésil a commencé à se dégrader et les clivages à s’aggraver. Dans ce contexte, nous avons naturellement de plus en plus de conversations de ce type, car d’un côté, on a un parti de droite réactionnaire au pouvoir qui souhaite éradiquer la diversité, et de l’autre côté, il y a nous (et tous ceux qui ne correspondent pas à l’idéal de la droite – les noirs, les indigènes, les artistes, les personnes LGBT) et nous devons nous organiser et nous défendre des attaques qui fusent de tous bords. Quebramara été conçu en 2017, un an avant l’élection de Jair Bolsonaro, et bouclé au moment de son élection. Le film reflète cette période, mais pas seulement. Nous avons toujours échangé sur nos expériences. Le patriarcat a toujours été violent envers les femmes et surtout envers les femmes lesbiennes. Pour finir, je souhaite ajouter que les filles du film appartiennent à une génération qui a une conscience politique bien supérieure à celle que nous avions à leur âge, et elles avaient ce genre de discussions bien avant de participer au film.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours de cinéaste ?
J’ai passé mon diplôme de cinéma en 2009, et à partir de 2010, j’ai travaillé sur plusieurs films derrière la caméra, comme assistante opératrice dans un premier temps, puis comme chef opératrice. Je suis surtout chef opératrice, et j’adore ça. Chaque réalisateur avec qui je travaille m’apporte beaucoup, j’ai eu beaucoup de chance de ce côté-là. J’ai filmé trois longs métrages (Chão de Camila Freitas, Lembro Mais Dos Corvosde Gustavo Vinagre et Paraí de Vinícius Toro), une série télé, Noturnos, de Marco Dutra et Caetano Gotardo, ainsi que plusieurs courts métrages. Mon vécu de femme lesbienne m’a motivée à écrire et à réaliser Quebramar, car ce sont des sujets qui me touchent personnellement.
Quels films vous ont inspirée ?
Le tigre endormi, un film de Affonso Uchoa, m’a énormément appris sur la façon d’exploiter le langage du documentaire.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Je n’ai jamais réalisé de long métrage, je ne sais donc pas exactement quels en sont les défis par rapport au court métrage. Mais j’imagine que le format de Quebramar (un essai visuel et poétique sur les récits liés au corps, sans grandes leçons de morale) est plus adapté à l’univers du court métrage.
Pour voir Quebramar (Brise-lames), rendez-vous aux séances du programme I7 de la compétition internationale.