Dîner avec Renée R. Lettres retrouvées
Entretien avec Lisa Reboulleau, réalisatrice de Renée R. Lettres retrouvées
Comment avez-vous travaillé pour réaliser Renée R. Lettres retrouvées ? Concernant les images, s’agit-il d’images réelles de plusieurs origines qui ont été mélangées ? Ou sont-ce les images d’un seul couple / une seule famille ?
Le film est composé uniquement d’images d’archives datant des années 1950/1960. Elles sont contemporaines aux écrits laissés par Renée R., ses lettres et son journal intime, écrits entre 1958 et 1959.
Le travail d’archives, de recherche d’images a été très long. La création intégrale du film a duré 4 ans. Les images en couleur sont les images de ma famille ; les autres, celles en noir et blanc, sont issues des fonds de l’INA (principalement des magazines d’actualité) et de Ciné-Mémoire, une cinémathèque marseillaise de films de famille amateurs.
J’ai choisi les images les plus banales et anonymes possibles. L’idée n’était pas de montrer les clichés de l’époque mais de trouver un assemblage esthétique qui nous plonge dans l’univers de ces années 50-60, dans l’univers du personnage, tel que je me l’imaginais en tous cas.
Comment avez-vous travaillé l’image ? Quelle est la part faite à partir de pellicules ? Les séquences qui sont montrées dans le film comme détériorées l’étaient-elles déjà ou avez-vous appliqué un procédé pour créer l’effet ?
J’ai aimé dans la réalisation de ce film le défi esthétique : comment mélanger plusieurs types d’images, assembler les pièces d’un puzzle. Finalement, ce film est construit comme une fiction. Je cherchais des plans qui s’enchaînaient les uns aux autres, ce qui n’est pas facile avec l’archive car c’est souvent des plans de très courtes durées.
La difficulté a été également d’associer ces plans très courts avec des textes longs, les lettres de Renée qui ont une écriture romantique, très expansive. Les textes longs n’existent d’ailleurs pas dans le film, c’était impossible. On a essayé de trouver les phrases les plus représentatives, significatives. J’aime dans son écriture le côté tragique de la fin d’un amour, d’un chagrin d’amour mais aussi son écriture simple et précise. C’est très fort de décrire des émotions dramatiques de cette manière-là.
Finalement, cela a été des allers retours incessants entre images et textes. Le texte amène l’image, l’image répond au texte. On a travaillé sur ce point particulier : de quelle façon le texte amène l’image ? Le texte nous met sur la piste et l’image est censée nous dire le reste. Soit l’image illustre les propos de la voix off qui conte les lettres soit elle vient en contrepoint. L’image exprime alors l’inverse de ce qui est dit et nous amène sur la piste de sa fin tragique malgré parfois des propos d’espoir : l’archive est abîmée, se désintègre.
Je n’ai utilisé aucun procédé spécial pour créer des effets (hormis le ralenti) mais j’ai joué avec les effets du temps sur la pellicule. En revanche, il a fallu faire un gros travail d’étalonnage pour uniformiser les différentes archives et créer une unité.
Pensez-vous que les images d’une relation amoureuse à son commencement, son bonheur simple et taquin, telles qu’elles sont montrées dans Renée R. Lettres retrouvées, soient universelles ?
Le sentiment amoureux et la douleur de la fin d’un amour sont évidemment des sentiments universels. L’expérience de Renée R. peut donc parler, il me semble, à chacun d’entre nous. Cette expérience est représentée dans le film par la séquence de Renée R. et son mari dans un champ de narcisses. La séquence revient régulièrement et prend, à chaque fois, un sens différent, comme les différentes variations d’une histoire d’amour, du commencement à sa fin.
Dans l’introduction, la séquence est réaliste, on est au présent. L’amour existe.
Dans la première partie, la même séquence évoque les souvenirs de Renée R., les temps heureux alors qu’elle s’ennuie à Limoges. Elle nous met sur la piste.
Puis, alors que Renée R. a de plus en plus de suspicions, le souvenir des narcisses prend un nouveau sens. C’est une relecture du passé : ce bonheur était-il vraiment parfait ?
Dans la 4e partie, c’est la rupture. Son mari les abandonne-t-elle et ses enfants ? Elle est accompagnée d’une phrase : « Ce bonheur, j’essayais de m’en persuader ». Le bonheur n’existera donc plus jamais.
La séquence apparaît une dernière fois quand elle veut l’appeler, le supplier d’ouvrir les yeux sur ce bonheur qu’ils avaient. A ce moment, les images deviennent le symbole du paradis perdu de Renée R.
Dans Renée R. Lettres retrouvées, on entend des lectures qui ne semblent pas adressées à une personne en particulier. S’agit-il réellement de lettres ou plutôt d’un journal intime ?
La matière du film rassemble uniquement des extraits du journal intime et des lettres de Renée R. Ces textes commencent en novembre 1958, à son arrivée dans la ville de Limoges et se terminent en novembre 1959, le jour se sa mort, à Marseille.
Renée R. a tenu un journal quotidien pendant cette période ainsi qu’une correspondance très suivie avec sa mère, et sa meilleure amie Ray. Ces écrits ont été le moyen grâce auquel Renée R. a pu traverser cette période charnière de sa vie, je pense qu’il était indispensable pour elle d’écrire, de décrire même, ce qu’elle vivait à ce moment-là.
Renée R. questionne aussi le besoin qu’a l’enfant de s’approprier le passé parental. Pourquoi vouliez-vous travailler sur ce questionnement ?
Il se trouve en effet que Renée R. est ma grand-mère, et je porte le même nom de famille.
Cependant, le choix de l’initiale de son nom dans le titre est issu d’une volonté d’« anonymiser » cette histoire car ce qui m’intéressait, c’était surtout la vie d’une femme de l’époque, pas celle de ma grand-mère. Je ne souhaitais pas mettre en avant ce lien, faire un film sur la filiation. Le film raconte la chronique de la dernière année d’une femme, d’une vie toute simple, finalement.
Renée R. Lettres retrouvées raconte le quotidien de 1958 et on perçoit une souffrance quant au manque de temps disponible après les heures de travail. Pensez-vous qu’en 2015, le manque de temps après le travail soit toujours une souffrance ?
La fin des années 50 est une époque encore compliquée au niveau des grandes questions féminines mais il se passe quelque chose dans son histoire et, sans le savoir, Renée R. est pour moi une pionnière des grands mouvements féminins qui ont eu lieu après sa mort. Renée R. est moderne et, je me plais à croire que si elle n’était pas morte, elle aurait peut-être été une figure du mouvement féministe, qui sait?
En tous cas, le film montre comment elle est confrontée aux obstacles de l’époque. Le fil conducteur c’est l’amour trahi et, en filigrane, le poids du contexte de l’époque, familial, social. Ainsi, une des questions du film est bien de « comment conjuguer une vie de mère, de femme qui travaille, et de femme tout court ou comment gérer une vie de famille monoparentale ? ». Cette question est évidemment plus que présente aujourd’hui mais à l’époque de Renée R., c’était une question relativement nouvelle pour les femmes.
Renée R. Lettres retrouvées a été produit en France. Selon vous, dans le court métrage, qu’est-ce que la production française apporte que les autres n’ont pas ?
Les Français sont très sensibles aux questions intimes, nous sommes parfois vus comme trop indiscrets par d’autres pays, je pense notamment aux Anglo-saxons. Donc oui, je pense que la production du film a permis de développer cet aspect très intime.
Pour voir Renée R. Lettres retrouvées, rendez-vous aux séances de la Compétition Nationale F5.
L’info en + Le film sera également programmé :
Lundi 2 février : Festival Doc en Courts, Lyon
Vendredi 6 février : Les Rencontres Cinéma de Manosque et 15èmes Journées cinématographiques dionysiennes