Rétrospective thématique 2019 : Short in Translation
Parallèlement à ses compétitions, le festival de Clermont propose tous les ans une rétrospective sur un thème : l’espace, le vélo, la piscine — parmi beaucoup d’autres — ont ainsi été tour à tour le fil rouge de ces programmations, qui, chaque fois, racontent une histoire du cinéma particulière, plus ou moins insolite, toujours surprenante, en invitant les spectateurs à un parcours buissonnier à travers les années et les pays, le nez au vent.
Du 1er au 9 février 2019, la balade aura pour titre Short In Translation, et fera se lier et délier les langues, dans une tour de Babel en seize courts métrages.
Si parler pour ne rien dire est communément compris comme parler en disant, au fond, peu de choses, c’est bel et bien de parler dans le but même de ne rien dire qu’il s’agit parfois : tisser des sons qui délimitent un terrain, conjurer de terrifiants silences. Encore faut-il, pour s’offrir ce luxe, parler la même langue ou comprendre un peu celle de l’autre. Qu’en est-il quand ce n’est pas le cas ? Avançons l’hypothèse que c’est précisément de cet embarras que peuvent naître les plus belles amitiés, par l’obligation faite aux locuteurs d’aller à l’essentiel, à l’os du dialogue — et allons-y-voir.
Hiroshi ne parle que le japonais, Marisa l’espagnol : comment vont-ils s’en sortir avec un dictionnaire de poche, un vieux chien et une paëlla ? (Ato san nen / Encore trois ans) ; un jeune Chinois a travaillé dur pour se faire comprendre des Irlandais, vers qui le hasard a conduit ses pas : va-t-il les épater ? (Mon nom est Yu Ming) ; un playboy autrichien entre deux âges a un rendez-vous galant en Ukraine, mais les agences ne peuvent tout prévoir (Hello My Name Is Olga) ; Thomas et Thomas, trentenaires parisiens quelque peu lymphatiques, doivent accueillir en France Ole et Adam, deux Groenlandais jamais sortis de leur petit village glacé : il va falloir parler avec les mains (Inupiluk) ; deux veuves, l’une américaine, l’autre coréenne, semblent si différentes quand on les découvre, dans un parc de Philadelphie, mais, c’est bien connu, certaines herbes sont magiques (Mindle raeh / Pissenlit).
Ne pas parler la langue, cela peut aussi être très douloureux. Celles et ceux que les tremblements du monde obligent à quitter leur pays le savent. Dans On This Island, un jeune fonctionnaire qu’on croirait sorti d’une publicité pour une voiture de luxe est déstabilisé par sa prof de Grec, contrainte, jusqu’à l’absurde, de faire ses preuves de bonne immigrante. En écho à cette peinture kafkaïenne, c’est aussi à la bureaucratie d’une étrange société en version originale que se heurte la jeune Africaine de .Sub. Mais l’ordre doit régner, et pour construire un poulailler en Flandre, il faut parler flamand ! Wim Willaert, savoureux pédagogue, nous l’explique dans Welkom.
On verra aussi, grâce à French Kiss, que parler dans une langue étrangère peut être formidablement libératoire, et rendre anodins les dialogues les plus crus. Jusqu’à ce que…
Des années 80 à aujourd’hui, de la Finlande à la Corée, Short In Translation sera essentiellement constitué de fictions, avec deux films d’animation : Kielitiettyni, ou la recherche désespérée par un homme de sa « langue sœur » et rien moins que La découverte du langage, dans la série L’histoire du monde, de l’inénarrable professeur Phil Mulloy. Un seul documentaire, mais c’est un monument : dans un délicieux style British, Language Lessons nous fera découvrir l’univers des langues à vocation universelle, et ceux qui les pratiquent avec ferveur : l’Espéranto, le Volapük, et bien d’autres, plus insoupçonnées encore…
« Il faut considérer les traducteurs comme d’habiles entremetteurs qui nous vantent comme extrêmement désirable une beauté à demi voilée : ils excitent en nous le désir irrésistible de connaître l’original », a écrit Goethe. Mais les interprètes sont parfois fantasques, à l’instar de Nico (oui, la chanteuse !) traduisant Maurice Garrel, du français vers… le français, dans L’Interview, que les festivaliers des premières heures découvrirent à Clermont en 1987. Ils peuvent aussi, comme Konrad, être écrasés par le poids de l’Histoire et les enjeux de leur interprétation, entre deux présidents en furie (Berlin Troika). Elena, quant à elle, comme de nombreux enfants d’immigrés, est la seule de la famille à bien parler la langue de son pays d’accueil. Il arrive qu’on grandisse en un jour.
Enfin, s’il est une langue qui a inspiré de très nombreux courts métrages (on se souvient du Petit Bal de Découflé), c’est bien celle des signes. Tiré d’une expérience personnelle, The Silent Child a obtenu en 2018 l’Oscar du meilleur court métrage de fiction, et aura sa place dans cette rétrospective.