Rétrospective thématique : Humour noir
(L’union fait la force – Hanne Phlypo – 2006)
Plus on essaie de serrer au près l’humour noir, plus on se convainc qu’il se confond avec l’humour tout court. Dans son Anthologie de l’humour noir, interdite en 1940, André Breton parle d’ailleurs le plus souvent d’humour, sans le parer de cette couleur dont il aimait tant l’association (magie noire, lumière noire…). Le glissement de l’aphorisme du poète surréaliste belge Achille Chavée dans notre mémoire collective est à ce propos très significatif. Il avait écrit « L’humour noir est la politesse du désespoir ». Le noir s’est effacé, ayant assez contaminé l’humour pour se payer ce luxe de discrétion. Et si l’on pense à l’écrivain allemand Otto-Julius Bierbaum, écrivant en 1909, peu avant sa mort, « L’humour, c’est quand on rit quand même », on se dit qu’on tient là une belle sentence à graver au frontispice du temple de l’humour noir (ou humoir pour certains intimes).
(Daheim – Kai Wido Meyer – 2015)
Revenons à Breton : en 1935, à Prague, deux ans avant de donner à Paris une conférence intitulée « De l’humour noir », il définit l’humour comme « une révolte supérieure de l’esprit ». En écho, Annie Le Brun verra dans l’humour noir, en 1968 à Cerisy, « une expression de la subjectivité victorieuse ». Révolte ? Nous y voilà ! Car c’est bien la Grande Faucheuse qui nous occupe, c’est bien à cette ultime partenaire que se mesure l’humour, sans ironie, mais avec une distance libératrice et un peu dandy, un détachement souverain face à l’inéluctable… Breton aimait cette blague de Freud évoquant un condamné conduit à la pendaison un lundi et s’écriant « voilà une semaine qui commence bien ! ». C’est l’occasion de noter qu’une des traductions anglo-saxonnes possibles d’“humour noir“ est gallows humor, littéralement “humour de gibet“.
(Pommes frites – Balder Westein – 2013)
Mais il est surtout grand temps de nous souvenir, avecElwyn Brooks White, qu’expliquer l’humour, c’est comme disséquer une grenouille : on apprend beaucoup au cours de l’expérience, mais à la fin la grenouille est morte. On ira donc joyeusement narguer la mort au fil de cette rétrospective, assis sur un canapé, la défiant bien de nous surprendre (Blue Sofa, co-réalisé et interprété par Pippo Delbono), essayant de la provoquer pour amener un peu de vie (Daheim), ou chantant à pleins poumons (L’Union fait la force). Le cercle familial sera très présent, cela s’est comme imposé : Victor, de François Ozon (découvert à Clermont en 1994), dans une famille pour le moins décomposée, Didier en quête de réconciliation avec son père le jour de l’évasion de Marc Dutroux (Travellinckx, de Bouli Lanners), Raul à qui ses parents ont des choses plutôt étranges à raconter (Interior. Familia.), le petit Calvin qui se réjouit peut-être un peu vite de la promesse d’une sortie (Je vais à Disneyland).
(Blue sofa – Pippo Delbono – 2009)
On aura le plaisir de retrouver le so British 23e comte de Leete nous faire les honneurs de son patrimoine (A Sense of History, de Mike Leigh, primé par le public clermontois en 1993) ; Roman Polanski dans son premier film français (Le gros et le maigre, 1960), rarement projeté ; Michel Piccoli en commissaire décalé dans Du crime considéré comme un des beaux-arts, Grand Prix à Clermont en 1982 — et clin d’œil à Thomas de Quincey, une des figures tutélaires de l’humour noir.
(A Sense of History – Mike Leigh – 1993)
On pourra tâter aussi de ce que Dominique Noguez appelle « l’humour rouge », soit un humour noir moins purement existentiel mais plus politique : Ilha das Flores (L’île aux fleurs), du brésilien Jorge Furtado, a marqué durablement tous ceux qui l’ont découvert à Clermont en 1991. Les temps morts, de René Laloux et Roland Topor, sur un texte de Jacques Sternberg, en est comme une préfiguration et, en aval, il n’est pas inconsidéré d’établir une parenté avec le toujours poignant Des majorettes dans l’espace (Prix du Public à Clermont en 1997).
(Ilha das Flores (L’île aux fleurs) – Jorge Furtado – 1991)
Il eût été d’un goût discutable de dédier ce rapide tour du monde (une dizaine de pays visités, de la Corée du Sud à la Norvège) à l’humoriste Fernand Raynaud, dont la dernière vision fut celle du mur d’un cimetière, percuté par sa Rolls. Nous saluerons donc plutôt deux écrivains, également clermontois : le grand Chamfort (« Apprendre à mourir ! Et pourquoi donc ? On y réussit très bien la première fois. ») et Maurice Roche, qui reçut en 1987 le Grand Prix de l’Humour Noir pour « Je ne vais pas bien mais il faut que j’y aille ». Noir comme la pierre de lave, avec le temps…
(The Obvious Child – Stephen Irwin – 2013)