Dernier verre avec Squirrel Island (L’île aux écureuils)
Entretien avec Astrid Goldsmith, réalisatrice de Squirrel Island (L’île aux écureils)
Pouvez-vous nous parler de votre formation en animation et de votre « style » ?
J’ai appris toute seule à faire de l’animation, dès l’âge de 12 ans, avec une vieille caméra Super 8, je faisais des figurines en pâte à modeler et des décors en paquets de céréales, je faisais avec les moyens du bord en somme ! Les pellicules Super 8 étaient livrées avec une enveloppe prépayée pour le développement, il fallait donc envoyer le film, une fois terminé, à un laboratoire en Hollande et attendre un mois entier avant de voir le résultat, mais quand le film développé atterrissait sur le paillasson, c’était génial. J’ai continué à travailler sur pellicule (8 mm ou 16 mm) jusqu’à mon Master en animation, où j’ai appris à me servir des logiciels de capture numérique et vidéo, et ça m’a vraiment dégoûté de l’animation ! J’étais habituée à cette attention ininterrompue qu’exige le tournage sur pellicule, où l’on doit avoir en tête le mouvement de A à Z et se concentrer sur le jeu sans vérifier constamment le résultat sur un écran. Ce travail « à tâtons » sur pellicule laisse de la place pour le risque et l’improvisation, et si quelque chose capote pendant une prise de vue, eh bien, il faut continuer et on est parfois agréablement surpris du résultat. C’est de là que provient mon « style », c’est une joyeuse imperfection ! Tous mes animateurs préférés (Harryhausen, Starevich, Trnka, Pojar, Postgate) vivaient à une époque où l’on filmait tout de cette façon, ce qui permettait une grande créativité à huis-clos, et il y a quelque chose de très tactile, de magnifique, de « différent » dans les mouvements et les expressions de leurs personnages, c’est de la pure magie cinématographique.
Pourquoi avoir choisi de raconter cette fable avec des écureuils et des glands ?
Je cherchais un moyen d’exprimer mes inquiétudes quant à l’impact des politiques de notre gouvernement sur des vies innocentes et sur la nature, et pour moi, il existe un parallèle très fort entre l’attitude face aux écureuils et l’attitude face à l’immigration. Après les attentats du 7 juillet, on a vu une recrudescence des préjugés xénophobes à Londres, particulièrement dans le métro. À cette époque, en prenant mon métro tous les matins, je lisais des articles dans le journal sur les conséquences des espèces invasives sur l’environnement et sur les espèces britanniques, et ces articles étaient toujours illustrés par l’image d’écureuils roux tout mignons. Les écureuils roux locaux sont devenus l’image emblématique des espèces menacées, probablement parce qu’ils sont plus photogéniques que les autres espèces menacées (comme ces pauvres truites…) et grâce aux qualités anthropomorphiques de certains écureuils de livres pour enfants comme Tufty ou Noisette l’écureuil. À l’inverse, l’écureuil gris est toujours présenté comme un intrus démoniaque qui transmet des maladies et perturbe l’ordre de la nature, et pourtant cette espèce a été introduite en Grande-Bretagne au début du XIXe siècle. Je me suis intéressée à cette distinction entre les « bons » et les « mauvais » animaux et les politiques qui en découlent. Lorsque j’ai visité l’île de Wight (où les écureuils gris ont été éradiqués pour protéger les écureuils roux) et que j’ai vu toute cette propagande pour les écureuils roux et tous ces panneaux anti-écureuils gris, j’ai eu l’impression d’être dans un film d’anticipation des années 1970 et j’imaginais un écureuil gris courageux qui se retrouverait coincé dans cet environnement. Quant aux glands, c’est la nourriture favorite des écureuils gris, il était donc naturel que les écureuils roux s’en servent pour mener à bien leur ignoble stratagème.
[Attention : ne pas lire si vous n’avez pas vu le film !] Comment espérez-vous ou pensez-vous que le public comprendra la fin du film ?
Tout ce qu’on sait, c’est ce qu’on voit : Dot (la fille écureuil) se voit accorder un sursis par l’armée des écureuils roux car elle a sauvé un des leurs de la noyade et elle lance une opération de nettoyage avec M. le Gland pour rassembler les glands zombies qui ont survécu. Il est clair que les soldats comprennent pour la première fois que leur obéissance aveugle aux ordres a eu des conséquences tragiques inattendues, et c’est au public de décider jusqu’où est allée cette réconciliation entre les gris et les roux. Dot et M. le Gland collaborent-ils avec les roux pour réparer les dégâts ? Ou bien ont-ils volé un camion aux écureuils roux pour se faire la malle ? Dans un cas comme dans l’autre, j’espère que le public y verra un message d’espoir, car même dans l’adversité et l’oppression, leur combat reste noble.
Avez-vous de nouveaux projets en cours ?
Je travaille en ce moment avec un neurologue de Cambridge sur un film de loups-garous qui parle du développement cérébral des adolescents et j’ai commencé les recherches en vue de mon prochain gros projet, une comédie musicale en animation image par image sur l’ensevelissement des déchets. J’écris aussi une bande-dessinée, un tout nouveau défi pour moi !
Quels ont été vos coups de cœur au cinéma cette année ?
J’ai vu des films super au festival de cinéma de Varsovie en octobre, des films qui m’ont vraiment marquée. Le long métrage qui a été primé, Heartstone de Gudmundur Arnar Gudmundsson, était époustouflant – superbe, drôle, émouvant et sincère – j’ai adoré. Un de mes courts métrages préférés de Varsovie est aussi présent à Clermont-Ferrand, In Kropsdam Is Idedereen Gelukkig de Joren Molter (programme I14). Hilarant, mais avec un brin d’épouvante style bon vieux film d’horreur rural des seventies. C’est avec plaisir que je le reverrai à Clermont !
Si vous êtes déjà venue, racontez-nous une anecdote vécue au festival de Clermont-Ferrand. Sinon, qu’en attendez-vous ?
Squirrel Island est mon premier film et je viens à Clermont pour la première fois. J’ai hâte d’y être ! J’ai envie de voir plein de films, de rencontrer d’autres réalisateurs. C’est vraiment un honneur d’avoir été sélectionnée par ce festival, toutes ces années passées à déplacer des petits écureuils dans mon garage sont enfin récompensées !
Pour voir Squirrel Island, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I6.