Lunch avec Teen Horses
Entretien avec Valérie Leroy, réalisatrice de Teen Horses
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la période de l’adolescence ?
Je suis très intéressée par les questions d’identité : comment est-ce que l’on devient qui on est ? Comment la société peut-elle nous influencer dans cette construction ? À quel point est-on libre ? Et, à ce titre, l’adolescence est vraiment une période charnière. À quel point aussi, on réussit à se construire malgré/contre ou avec le jugement des autres qui est très fort à cette période. C’est aussi une période où le désir, les fantasmes et la naissance de la sexualité prennent une place importante, ça aussi ça m’intéressait. Comment les jeunes filles investissent ce terrain-là, le début des contacts avec ce que leur corps leur raconte. Et puis il y a aussi un petit côté madeleine de Proust car c’est une période que l’on fantasme aussi beaucoup en tant qu’adulte, sur laquelle on peut être nostalgique. Moi, j’ai eu une adolescence assez compliquée dans mon rapport avec moi-même donc je crois que c’est aussi une façon de poser un regard plus doux sur mon propre passé en mettant des petits bouts de moi dans chacun des personnages du film.
Envisagez-vous de réaliser d’autres films avec des personnages de cet âge ?
J’ai adoré travailler avec des adolescents. Ils ont vraiment été merveilleux et c’était un vrai bonheur donc juste pour renouveler cette expérience, oui. Après, il y a déjà eu beaucoup de très beaux films sur l’adolescence donc il faut vraiment trouver un angle et une histoire singulière.
Comment avez-vous trouvé vos comédiens ?
Par casting. Avec ma directrice de casting nous avons fait un mix jeunes comédiens en agence et casting sauvage. Je les ai tous vus d’abord individuellement et ensuite nous les avons vus en petit groupe parce qu’il fallait que l’alchimie fonctionne.
Avez-vous d’abord eu envie d’évoquer la situation d’une franco-finlandaise en particulier ou plutôt de traiter de l’équilibre intérieur quand des événements forts bouleversent le quotidien ?
J’avais avant tout envie de parler du déracinement, de ce que ça fait à cet âge où les amitiés sont très fortes et où l’on peut avoir réussi à se créer un petit cocon protecteur pour affronter le monde, d’être enlevé à tout ça. Tania doit gérer la séparation de ses parents, l’arrivée dans un lycée où elle ne connait personne et une autre culture, parce que les différences éducatives entre la France et la Finlande sont quand même assez fortes. J’avais envie de raconter ça, un monde qui s’écroule et comment on réussit à s’en reconstruire un autre en cassant ses propres préjugés. Presque comme un deuil.
Comment avez-vous connu ce sport ? Combien de temps avez-vous travaillé sur les mouvements corporels ?
Je suis tombée sur une vidéo sur internet. En creusant j’ai découvert qu’il y avait une vraie dimension féministe et d’empowerment dans la démarche de ces jeunes filles en Finlande. Que la plupart des filles à l’origine du mouvement ont eu des adolescences compliquées et que c’est la pratique de ce sport qui les a aidées à se construire. Tout cela contre le regard des autres : on sait que ce que l’on fait vous dérange et est propice à la moquerie mais on va l’assumer ensemble et grandir ensemble. Je trouve ça fort. Pour le travail sur les mouvements, nous n’avons pas eu beaucoup de temps, mais j’avais envoyé à Elsa Houben, le rôle principal, des vidéos de référence et elle a passé une journée avec une chorégraphe, Georgia Ives, pour mettre au point les chorégraphies du début et de la fin.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le style vestimentaire que vous avez donné aux personnages ?
J’avais envie de jouer avec les codes du teen movie où les personnages ont souvent des looks assez marqués. On s’est amusé avec ma costumière Sarah Billand à définir un look bien identifiable pour chaque personnage. Et puis j’avais envie qu’il y ait un côté transgénérationnel. Certains looks sont proches de ma propre adolescence dans les années 90 et pourtant ils sont toujours actuels.
Comment avez-vous connu et qu’est-ce qui vous plaisait dans la chanson « L’escalier » ?
Je l’ai découverte pendant le montage du film. Avec ma monteuse, Julie Delord, on cherchait une musique pour la séquence d’entraînement au ralenti et nous sommes tombées par hasard sur cette chanson. On l’a posée sur les images du film et elle tombait miraculeusement bien. J’aime beaucoup ces sonorités électro et je trouvais que les paroles pouvaient résonner pour chacun des personnages et au-delà, c’est ce qui m’a vraiment plu.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ? Envisageriez-vous de faire un long métrage de Teen Horses ?
La liberté je la vois surtout dans le fait de choisir mon équipe et mes comédiens. Et j’ai eu la chance que mes producteurs me laissent très libre dans mes choix artistiques. Après, il y a une forme de liberté dans le geste car le court est plus rapide à écrire et à retravailler qu’un long et il se finance dans un temps plus court. C’est un format qui correspond bien à mon énergie. Si je devais adapter Teen Horses dans une forme plus longue, ce serait plutôt une série pour pouvoir avoir le temps de creuser un peu plus l’univers et les personnages secondaires. Ce serait sans doute une série musicale parce que j’adore l’idée que mes personnages puissent trouver une autre forme d’incarnation dans le chant et le mouvement.
Quelles sont vos œuvres de référence ?
Pour ne parler que de films mettant en scène des adolescents, je dirais Fucking Amal de Lukas Moodysson, Les beaux gosses de Riad Sattouf, Ghost World de Terry Zwigoff, La vie ne me fait pas peur de Noémie Lvovsky et My Summer of Love de Paweł Pawlikowski . Ils ont, pour certains, nourris ma propre adolescence.
Pour voir Teen Horses, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F2.