Dernier verre avec The Water Will Carry Us ( L’eau nous emportera)
Entretien avec Shasha Huang, rélisatrice de The Water Will Carry Us (L’eau nous emportera)
Le rythme du film est plutôt paisible et lent, ce qui fait de The Water Will Carry Us une sorte de film méditatif. Cet effet était-il souhaité ?
Oui. À l’origine, mon intention était de dévoiler l’histoire et le reflet du miroir de façon poétique, en m’inspirant de l’aspect méditatif de « l’eau », tandis que « le miroir » jouait le rôle de l’observateur. Ces éléments appelaient naturellement un rythme paisible et lent. Mais la dernière partie du film comporte des images qui défilent plus rapidement, ce qui modifie un peu le rythme, le rendant plus dynamique et permettant de faire monter l’émotion. En outre, le titre chinois de mon film est Cha Ji (wabi-sabi), ce terme désignant un concept philosophique et esthétique japonais qui vient du zen à l’époque de la dynastie Song en Chine. Il signifie admiration pour la beauté de l’imperfection et respect pour le déroulement naturel des choses. Dans mon film, cela s’exprime à travers la beauté des vieux objets abandonnés. Le titre anglais, The Water Will Carry Us (L’eau nous emportera), évoque plutôt le temps qui passe. Le temps est comme l’eau, dans le sens où les deux sont comme des cercles, ils avancent et reviennent transformés. Le présent est passé, mais il est aussi avenir. Comme ce que je montre dans le film : la disparition de l’artisanat traditionnel n’est qu’un petit événement à l’échelle du temps qui passe. Ces savoirs traditionnels reviendront peut-être… Peut-être n’ont-ils jamais existé. Quoi qu’il en soit, chaque chose poursuit son chemin.
Pouvez-vous nous parler un peu du tournage ?
Je me suis inspirée de deux photos que j’avais prises en 2017 (comme les deux derniers plans du film, mais avec un autre miroir). Au début de l’été 2018, j’ai commencé à prospecter plusieurs villages historiques et à chercher des vieux menuisiers. J’ai finalement choisi un menuisier de 80 ans comme acteur principal. Pour ce film, j’ai mélangé le documentaire et la fiction. Par exemple, pour le décor de la maison du vieux menuisier, j’ai utilisé une cuvette en bois et un seau en bois de sa fabrication dont il se sert toujours. Le scénario avait été modifié des dizaines de fois, d’un court métrage c’était devenu un long métrage, puis redevenu un court. Le tournage a eu lieu du 23 février au 3 mars 2019, puis nous avons passé sept mois en postproduction, dont trois jours de tournage supplémentaires en juin, avant de tout boucler. Un travail assez détaillé a été fait sur les effets sonores. Par exemple, je me suis chargée de faire le son de la respiration.
Pouvez-vous nous parler du lieu de tournage ? Les paysages sont saisissants.
Il s’agit du parc paysager de la rivière Nanxi. Avant de rejoindre la mer de Chine orientale, la rivière Nanxi passe par ma ville natale, dans le district de Yongjia de la province du Zhejiang, à l’est de la Chine ; avec l’influence de la mer, le climat est chaud et humide toute l’année. On y trouve donc souvent des montagnes enveloppées de brume et des chutes d’eau limpides. C’est là qu’ont été écrits, il y a 1600 ans, les premiers poèmes chinois classiques à la gloire de la nature. En plus des paysages magnifiques, la région est parsemée de vieux villages, qui possèdent souvent une tradition agricole et littéraire. La région a été ajoutée sur la liste indicative du patrimoine mondial de l’UNESCO le 29 novembre 2001 dans la catégorie mixte (culturel et naturel).
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées ?
La création de courts métrages est plus libre et plus axée sur l’émotion que celle de longs. Contrairement aux longs métrages, qui ont une structure plus logique, les courts peuvent se contenter de décrire une ambiance ou un état de faits. Ils me font penser à la poésie des dynasties Tang et Song, ou aux tableaux chinois, qui laissent des espaces vides. Ils nous permettent de laisser le doute planer sur certaines choses, et de laisser le spectateur compléter le film au gré de son imagination.
Quelles sont vos influences cinématographiques ?
Premièrement, j’ai beaucoup appris du film Le vent nous emportera de Abbas Kiarostami, et de ses autres films. J’ai appris, entre autres, l’art de mélanger documentaire et fiction et de ne pas tout raconter clairement dans le film, mais de laisser de la place pour l’imagination du spectateur. Le cheval de Turin, de Béla Tarr, m’a influencée pour les mouvements de caméra et le rythme du film. Le travail avec des acteurs non-professionnels et le thème des villages qui meurent dans Les nuits blanches du facteur de Andreï Kontchalovski m’ont également inspirée. Enfin, pour l’utilisation des éléments « miroir » et « eau », j’ai amplement puisé dans Andreï Tarkovski et dans Les Plages d’Agnès,de Agnès Varda.
Pour voir The Water Will Carry Us, rendez-vous aux séances du programme I8 de la compétition internationale.