Lunch avec Tierra Mojada (Terre inondée)
Entretien avec Juan Sebastián Mesa, réalisateur de Tierra Mojada (Terre inondée)
Où se passe Terre inondée ? Quelles caméras avez-vous utilisées ?
Nous avons tourné le film dans les gorges de la rivière Cauca, dans le département d’Antioquia, en Colombie. Nous avons utilisé une Alexa mini de la marque Arri.
Qu’est-ce qui vous a inspiré ce film ? Connaissez-vous des gens qui ont subi une expropriation forcée ?
J’ai écrit cette histoire lorsqu’un groupe de plus de 200 personnes est venu occuper mon université pendant plus de sept mois en signe de protestation. C’étaient des familles qui se consacraient à la pêche, à l’agriculture, au tir à l’arc et à l’extraction artisanale de minerais, et qui venaient des 12 municipalités touchées par le barrage d’Ituango, le plus grand projet hydroélectrique du pays. Tous ces gens avaient dû abandonner leurs terres au nom du progrès et ils étaient là, avec leurs petites valises contenant le peu de choses qu’il avaient réussi à prendre lors des expulsions perpétrées par les forces de l’ordre. Les visages de ces familles sont restés gravés dans mon esprit, des visages marqués par l’incertitude et l’impuissance, qui erraient dans les locaux de ma fac, nous rappelant quotidiennement les injustices qui sont parfois commises au nom du progrès. Pendant ces huit mois, nous avons échangé et appris à montrer notre solidarité avec leur malheur, huit mois de cohabitation avec les visages du déplacement forcé, de l’indifférence, du déracinement.
Pourquoi avoir raconté cette scène du point de vue d’un enfant ?
Le point de vue de l’enfant m’intéressait car c’est le lien qui unit l’actualité à l’avenir, un avenir incertain. Le personnage est métis, et il reste le dernier témoin d’un lieu et d’une culture qui menace de disparaître.
Pourquoi garde-t-il le silence ?
Je voulais tenter une nouvelle approche de la narration, partant du dialogue comme axe transversal pour arriver à une histoire racontée à travers les détails, des détails que l’on ne voit pas forcément, mais qui, lorsqu’ils sont absents, soulèvent de nouvelles interrogations. La force de cette histoire repose largement sur ce qui n’est pas dit, ce qui n’est pas montré. Dans ce projet, je voulais atteindre une profondeur psychologique à travers l’image et le son, qui valent mieux que tout discours rhétorique, et ainsi amener le public dans d’autres dimensions narratives.
Pouvez-vous nous parler de votre travail sur les couleurs ?
Mon premier long métrage était en noir et blanc. Pour ce nouveau projet, je voulais travailler avec la couleur comme élément non seulement esthétique mais aussi narratif. Je me suis inspiré de plusieurs photographes que j’admire, dont Richard Mosse. Je souhaitais utiliser la couleur pour représenter la vie et la mort qui cohabitent dans un seul et même espace en train de disparaître. Nous avons fait des essais avec plusieurs caméras qui nous permettaient d’obtenir la couleur désirée. Nous avons expérimenté différentes techniques pour créer cette évolution des couleurs dans l’image. Après plusieurs tentatives, nous avons finalement utilisé les figures Lichtenberg pour incorporer le rouge aux végétaux.
Le thème des droits de l’homme vous intéresse-t-il particulièrement et pensez-vous faire d’autres films sur le sujet ?
Je m’intéresse aux droits de l’homme, mais mes projets ne portent pas forcément aussi directement dessus. La Colombie est un pays où il y a beaucoup d’inégalités et où les droits de l’homme sont régulièrement bafoués. Par la force des choses, on a beaucoup de films qui portent sur ce sujet. Mais en ce qui me concerne, plutôt que de faire des films engagés, je préfère parler de ce que je vois et de ce qui me touche en tant qu’être humain. Cela n’implique pas forcément une prise de position politique.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Bien sûr. Le court métrage vous donne la liberté de prendre plus de risques. Ce film m’a permis de faire de nombreuses expériences. D’un point de vue narratif, c’était un défi à relever, il a fallu faire un travail de synthèse, réduire le récit à sa plus simple expression, aller à l’essentiel, ce qui peut être compliqué car nous sommes habitués à la structure narrative classique des longs métrages. L’histoire se base sur des témoignages de gens que j’ai interviewés. C’est en quelque sorte un travail de reconstitution. Beaucoup de lieux que nous voulions évoquer ont déjà disparu et nous les avons cherchés. Les maisons que les gens nous ont décrites n’existent plus, il a fallu en construire une sur place pour les besoins du film. Les jungles des bords de la rivière Cauca ont presque toutes été englouties. C’était un défi permanent pour toute l’équipe.
Si vous êtes déjà venu, pouvez-vous nous raconter une anecdote vécue au festival de Clermont-Ferrand ?
Sinon, qu’en attendez-vous ?
J’espère que plein de gens vont voir le film et être touchés en le regardant. J’aimerais aussi voir plein de courts métrages, histoire de regarder le monde à travers le regard d’autres cinéastes.
Pour voir Tierra Mojada (Terre inondée), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I6.