Dernier verre avec To Sonny (Cher Sonny)
Entretien avec Maggie Briggs et Federico Spiazzi, coréalisateurs de To Sonny (Cher Sonny)
Qui est Sonny ? Est-il inspiré par une personne que vous avez rencontrée ?
Maggie : Le personnage de Sonny est librement inspiré de mon père, qui a travaillé lui-même au ravitaillement des distributeurs en Caroline du Nord, un homme qui, après presque quarante ans de travail sur le marché américain, se définit par les missions et les anecdotes qu’il tient de tout ce temps passé sur la route. Plus que de politique, le film parle du travailleur américain moyen, qui est aussi un héros à part entière.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter son histoire ? Que voulez-vous que le public en retire ?
Maggie : Les premières pierres de l’histoire ont été posées par les anecdotes que mon père rapportait à la maison de ses missions de remplissage de distributeurs dans ma ville natale, Asheville. Une vieille dame qui l’a rembarré parce qu’il refusait de lui donner une friandise gratuite, un abruti d’agent immobilier qui l’avait traité avec tellement de mépris qu’il a écrabouillé tous ses paquets de chips… La liste est longue. Comme c’est souvent le cas, le film a pris une direction inattendue : mon père, d’habitude apolitique, a commencé à afficher ouvertement ses idées conservatrices. J’ai écrit le scénario en 2017, après les élections de 2016, une période où je voyais les gens et les lieux que j’aime s’envelopper d’un linceul de haine et devenir méconnaissables. Avec un regard empathique plutôt qu’accusateur, j’ai essayé de raconter l’histoire d’un homme ordinaire qui, dans ce contexte, devient preneur de tout ce qui pourrait l’aider à trouver sa place sans un monde en pleine mutation.
Parlez-nous du casting.
Nous avons eu la chance de trouver les acteurs sur place, en Caroline du Nord, grâce à la collaboration de Kevin Patrick Murphy, qui dirige une école d’acteurs à Asheville qui forme des artistes à jouer devant la caméra. Après avoir passé en revue de nombreux acteurs typiquement du Sud, nous avons craqué pour Alphie Hyorth. Son interprétation de Sonny était très incarnée : un côté immature et un peu niais dans un corps d’homme d’âge mûr qui commence à fatiguer physiquement et mentalement. C’est un gros costaud plein de douceur, un contraste intéressant qui, pour nous, collait parfaitement au personnage de Sonny.
Comment le projet est-il devenu une coréalisation ?
Federico : Maggie et moi étions ensemble à l’université de Columbia à New York, où elle étudiait la production créative et moi la réalisation. Maggie a écrit To Sonny pour son projet de fin d’études dans ce cadre et selon les règles de Columbia, elle devait se trouver un réalisateur. Au fil des années, je suis allé plusieurs fois en Caroline du Nord et je suis devenu proche de sa famille et de sa ville, notre collaboration s’est donc imposée tout naturellement. Au fil de notre travail, nos rôles respectifs se sont vite entrecoupés. Sa connaissance du Sud, de l’argot, des détails à ajouter à mon récit, tout cela a donné de la vie à ce qu’on tournait. C’était une alchimie qui allait de soi, non sans quelques disputes et divergences d’opinion, bien sûr, mais ces frictions ont contribué au résultat final : un mélange de son univers intime, avec sa grande maîtrise du sujet, et de mon point de vue d’observateur extérieur.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Federico : Je prépare un court métrage pilote dans le cadre de mon premier long métrage. L’histoire se passe dans ma ville natale, Vérone, en Italie, connue par les millions de touristes qui la visitent chaque année comme la ville de l’amour et de Roméo et Juliette, mais pour les habitants, c’est une ville qui cache un mélange de violence et d’autodestruction. Le protagoniste de l’histoire est un adolescent qui cherche sa place dans cette identité schizophrène de la ville et de ses habitants, et qui cherche aussi à rencontrer l’amour.
Maggie : Je prépare actuellement mon prochain court métrage, qui va être tourné ce printemps et je travaille sur mon premier long métrage, Prone to Wander, encore une histoire très ancrée dans le Sud des États-Unis, qui relate les sept dimanches qui vont suivre l’entrée brutale d’une petite fille dans l’adolescence, entre son premier amour et les dissonances entre ce qu’elle entend dans la rue et à l’église.
Y a-t-il des œuvres ou des films qui vous ont inspirés ?
Dans le travail de préparation pour To Sonny, nous avons été inspirés par Le voyage d’hiver de Schubert, une histoire particulièrement pertinente qui parle d’un homme et de sa traversée très personnelle de l’hiver. On l’écoutait en boucle à la maison. Quand on bossait dans le Sud, on a ressorti des histoires et des chansons d’artistes country comme Johnny Cash, Ralph Stanley et Hank Williams. D’un point de vue visuel, nous avons été inspirés par les photographies de Alec Soth, Angela Strassheim et William Eggleston. En étudiant la réalisation, nous avons approfondi nos connaissances sur les grands maîtres que nous admirions déjà, comme Aki Kaurismaki et Abbas Kiarostami.
Y a-t-il des libertés que le format court métrage vous a apportées en particulier ?
Il n’y a que dans le court métrage que la structure de l’histoire puisse être centrée uniquement sur un portrait de personnage, sans véritable intrigue. L’observation et la découverte de telle ou telle vérité chez un personnage peut alors devenir, comme cela a été le cas pour nous, le sujet unique d’un film. On voulait que le public rencontre Sonny pour un instant, qu’il ressente de l’empathie pour lui et qu’il comprenne à quoi ressemble une journée de sa vie.
Pour voir To Sonny (Cher Sonny), rendez-vous aux séances du programme I7 de la compétition internationale.