Goûter avec Von der Flüchtigkeit eines Geschmacks (De l’impermanence du goût)
Entretien avec Eva Neidlinger, réalisatrice de Von der Flüchtigkeit eines Geschmacks (De l’impermanence du goût)
Où se passe l’action du film ? Est-ce une région, un univers que vous connaissez bien ?
Von der Flüchtigkeit eines Geschmacks se passe dans un jardin très sauvage et plein de vie, qui ressemble effectivement beaucoup à celui dans lequel j’ai grandi, qui m’inspire toujours autant chaque fois que j’y retourne. Il n’a pas été facile de trouver un jardin de ce type dans la région sablonneuse du Brandenburg, dans le nord de l’Allemagne, mais nous avons fini par tomber sur cet endroit merveilleux, avec en plus des abricotiers et des pêchers – un vrai rêve.
Qui vous a inspiré le personnage de Félie ?
Félie est inspirée de tous les enfants avec qui j’ai échangé lors de mes recherches sur le processus du deuil. Les deux autres personnages féminins également. À la base, mon envie d’explorer en profondeur l’émotion humaine fondamentale que représente le deuil vient du fait que ma famille a vécu un drame similaire à celui du film. Ce qui m’intéresse, c’est que, face au deuil, on a un comportement individuel, mais aussi une dynamique de groupe, et c’est ce que nous essayons de montrer dans le film. L’enjeu principal du film, c’est le moment où chacun des personnages va enfin faire le premier pas vers le lâcher-prise. Étant donné que chacune gère la situation de manière différente, on se retrouve dans une sorte de danse, entre répulsion et attraction – qui a été formidablement bien rendue par les actrices !
Pourquoi y a-t-il si peu de dialogues ? Parlez-nous de vos choix cinématographiques. Comment avez-vous filmé les tomates, par exemple ?
Nous n’avons pas choisi à l’avance d’inclure peu de dialogues : les images, l’ambiance sonore du jardin et la communication non verbale des personnages étaient déjà si fortes que tout dialogue supplémentaire aurait été superflu. Il était important que les personnages se fondent dans l’omniprésence du jardin, dont ils ne sont en fait qu’un élément naturel parmi d’autres. La dynamique de la vie et de la mort se retrouve dans chaque cellule de cet habitat naturel. En ce qui concerne les tomates, elles sont présentées de cette manière, justement : les bonnes tomates pleines de saveur côtoient les tomates pourries en train de se faire grignoter par les limaces. Les humains que je connais mettent plus de temps, en général, à accepter le cycle de la vie, ils se raccrochent à l’idée d’une joie permanente. J’ai toujours adoré la représentation du paradis que fait Jérôme Bosch dans son tableau Le Jardin des délices : malgré la distinction très nette entre enfer et paradis, on détecte la part sombre de son jardin, des éléments obscurs, et même la mort. D’un point de vue cinématographique, il y a trois fils conducteurs à suivre : 1) montrer le jardin sous toutes ses facettes, en donnant une part égale à la vie et à la mort (d’un côté la part sombre, la pourriture, la crasse, la décomposition, et de l’autre, la vie, la beauté, le luxe, les plantes qui poussent) ; 2) suivre le même cheminement que les personnages vers le lâcher-prise ; 3) faire ressentir la perte du goût qu’a subie la jeune femme en créant un contraste immersif avec les saveurs et la luxuriance des fruits du jardin.
Quelles histoires aimez-vous raconter en tant que cinéaste ?
J’aime explorer les concepts qui s’opposent, comme l’enfer et le paradis, et la beauté qui en ressort dès lors que l’on accepte leur concomitance.
Quels sont vos projets à venir ?
En novembre dernier, j’ai pu me rendre à Kiev car le festival DocuDays UA a présenté en avant-première notre documentaire sur un militant ukrainien. J’ai retrouvé beaucoup d’amis qui sont restés là-bas, des gens vraiment extraordinaires, et j’ai commencé à réfléchir sur l’idée fondamentale et complexe de la haine, un sujet sur lequel je prépare actuellement un docu-fiction. D’autre part, je travaille sur un projet à plus long terme sur le sentiment européen, pour lequel je voyage dans toute l’Europe dans un fourgon spécialement aménagé.
Quel est votre court métrage de référence ?
J’ai vu tellement de superbes courts métrages qu’il me serait difficile de dire lequel est mon préféré. D’une manière générale, j’aime bien voir le format court métrage utilisé pour faire des expériences artistiques. Récemment, j’ai vu un film magnifique, Remember the Smell of Mariupol de Zoya Laktionova, qui propose un regard intime et très sincère sur ce qu’a vécu l’artiste depuis le début de la guerre totale en Ukraine. Pour moi, un court métrage, ce sont des fragments, des moments qui explosent dans notre imagination pour créer un univers cohérent.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
C’est un honneur de présenter ce film de fin d’études en avant-première à Clermont-Ferrand ! J’ai hâte de me plonger dans les excellents programmes de courts métrages du monde entier, et de rencontrer plein de gens formidables. En plus, j’adore la France, donc je vais en profiter pour pratiquer un peu mon français.
Pour voir Von der Flüchtigkeit eines Geschmacks (De l’impermanence du goût), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I10.