Goûter avec Mamapara
Entretien avec Alberto Flores Vilca, réalisateur de Mamapara
Je remarque que vous avez le même patronyme qu’Honorata Vilca. Quel est votre lien de parenté avec elle ?
Mme Honorata Vilca est ma mère. À l’âge de quatre ans, j’ai été séparé d’elle, j’ai donc ressenti le besoin de mieux la connaître, de me rapprocher d’elle, de réduire cette distance. Bien que j’aie vécu loin d’elle, elle m’a toujours inspiré une grande discipline et des valeurs solides, surtout la sincérité. Ce documentaire est donc un exemple de ces enseignements, c’est mon plus grand acte de sincérité : parler de ma mère, sans en avoir honte.
Expliquez-nous pourquoi vous l’appelez Mamapara. Qu’est-ce qui vous a inspiré cette voix off très poétique ?
Quand j’ai quitté le lycée, avant de me lancer dans le cinéma, j’ai collaboré avec un collectif de littérature qui s’appelait Hervidero Rapsodial, au sein duquel j’ai commencé à écrire de la poésie et à compiler des poèmes dans un recueil intitulé Dead Dust, que je n’ai finalement jamais publié. Dès mes années d’études, j’ai commencé à faire du cinéma. Quand j’étais petit, j’ai appris le quechua, une langue mélancolique et poétique. La langue quechua s’accordait parfaitement avec le ton nostalgique du film. Quand j’ai écrit le texte de la voix off, j’ai repensé à mon passé de poète avec, encore une fois, beaucoup de nostalgie.
Quels sont les rituels qu’elle accomplit à la mort de Sergeant ?
C’est ce qu’on appelle K’intuchiy (choisir, en quechua), cela consiste à placer trois feuilles de coca à chaque coin de la tombe, pour donner la permission à la Terre-Mère (Pachamama) d’enterrer le corps. Ensuite, le corps est parfumé avec de l’encens pour être purifié et bien accueilli par la terre.
Qui est le rappeur dans le bus, quelle est son histoire ?
Tandis que je filmais la scène dans le bus avec ma mère, un jeune homme est monté et s’est mis à chanter. Il improvisait des paroles de rap en rapport avec des objets appartenant aux passagers, ce qui m’a paru intéressant, j’ai donc décidé de l’enregistrer, sans savoir si je m’en servirais ou pas. Au montage, j’ai remarqué que le rappeur avait fait une impro sur la couverture de ma mère, les paroles étaient magnifiques et j’ai décidé d’inclure sa chanson dans le montage final. Cette chanson de rap n’était pas du tout prévue, elle est arrivée de façon spontanée, rapide, et j’étais tellement concentré sur ma mère que je n’ai pas eu le temps de lui demander son nom avant qu’il ne descende du bus. Plusieurs jours après le tournage, j’ai essayé de le retrouver, dans le même bus et dans d’autres endroits, mais en vain.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la coproduction entre les trois pays ?
En 2018, j’ai été sélectionné pour Talents Buenos Aires, en Argentine. Mamapara était toujours à l’état de projet et j’ai montré une bande-annonce. C’est ainsi que Mario Manriquez s’y est intéressé et nous avons conclu un accord de coproduction avec l’Argentine. Lors de ces mêmes rencontres, Claudio Servin m’a proposé ses services pour l’audio en postproduction. Durant la phase de postprod de Mamapara, j’ai contacté Miguel Patzzi, qui vient de Bolivie et que j’avais rencontré au Chili lors d’un événement similaire à ces « Talents », pour qu’il travaille sur la couleur. Mamaparaest le résultat d’un travail collectif, qui a duré plus d’un an et demi, entre le montage et le tournage.
Quels sont les genres et les thèmes qui vous attirent pour vos prochains films ?
Je viens d’être sélectionné aux « Berlinale Talents » du festival international de cinéma de Berlin 2020, j’ai présenté mon nouveau projet, qui est un long métrage. C’est un documentaire qui se base sur un souvenir traumatisant de mon enfance. L’histoire se passe à l’époque de la dictature d’Alberto Fujimori.
Y a-t-il des œuvres, des films qui vous ont inspiré ?
Il y a plein de choses qui m’inspirent, que ce soit un vélo garé dans le couloir, une goutte de pluie sur le pare-brise, toutes ces choses simples de la vie. Un film qui a inspiré mon amour pour le cinéma documentaire, c’est Cuates de Australia, de Everardo Gonzales, un film incroyable qui montre très naturellement et spontanément la vie des habitants d’un village du Mexique. Cette façon d’approcher les gens, en occultant presque complètement la présence du documentariste, m’a beaucoup marqué. En fait, j’ai également été inspiré par Le cheval de Turin, de Bela Tarr, ainsi que les films d’Abbas Kiarostami.
Diriez-vous que le format court vous a donné une certaine liberté ?
Pas tant le format, peut-être plutôt le genre cinématographique. Je trouve une certaine liberté dans le documentaire, plus que dans tout autre genre, que ce soit dans les aspects techniques, esthétiques ou narratifs. Ce que me permet le court métrage, c’est peut-être de condenser une histoire, d’aller à l’essentiel en quelques minutes, un peu comme un haïku (poème japonais) qui ne dit que le strict nécessaire en quelques vers.
Pour voir Mamapara, rendez-vous aux séances du programme I6 de la compétition internationale.