Goûter avec Bình
Entretien avec Ostin Fam, réalisateur de Bình
Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter l’histoire d’un extraterrestre qui cherche à reconstruire sa maison ?
Après avoir vécu près de six ans aux US, j’ai trouvé l’air empli de couches de poussière en rentrant chez moi. Le Vietnam, en train de vivre un boum économique qui le métamorphose, est un grand chantier de construction. Ma mère et mon frère avaient déménagé dans un vieil appartement, à 38 mètres du sol. Elle a rebaptisé mon frère « Bình », qui signifie « être protégé ». Un voyant lui a recommandé ce prénom parce que cela le guérirait de son autisme et empêcherait qu’il lui arrive du mal. Cela fait un drôle d’effet quand on ne reconnaît pas son pays, et que, réciproquement, notre pays ne nous reconnaît pas. Je me suis senti aliéné même auprès de mes proches. Les gens se tournent vers toutes sortes d’instances pour s’aider à vivre, dont l’argent et la religion. Le tourisme religieux est en vogue. Des temples géants sont élevés, qui n’ont rien à voir avec la taille conventionnelle de ceux que nous, vietnamiens, fréquentions, auxquels nous étions attachés et où nous nous recueillons avec confiance par le passé. Dans le film, face à ce chantier qui se profile, les peurs des personnages convergent et entrent en conflit. Plus aucun d’entre eux ne trouve refuge en lui-même. La patience de l’extraterrestre, qui suit tous les indices qu’il trouve dans ce territoire à la fois familier et étranger, c’est quelque chose que je n’avais pas à ce moment-là de ma vie. Ce n’est qu’au terme de plusieurs luttes que je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’une nouvelle relation.
Que souhaitez-vous explorer à travers les relations entre l’extraterrestre et les trois personnages qu’il rencontre au Vietnam ?
En 2018, un complexe de temples censé être le plus grand au monde, Tam Chuc, était en projet dans un village isolé du nord du Vietnam. Quand j’ai visité le chantier, ce qui m’a immédiatement frappé, c’était à quel point le temps jurait dans le paysage. Placés dans le chantier apparent de Tam Chuc, les personnages de mon film sont confrontés à une destruction interne qui conquiert les souvenirs de l’extraterrestre, la famille chérie du vieil homme, et le décor naturel du jeune couple de villageois, ainsi que leur foi en ces figures. Errant autour du complexe, ils se retrouvent perdus et pris au piège sur une gigantesque table de jeu où les personnes au pouvoir lancent avec nonchalance des dés de foi et de valeur.
La photographie est très impressionnante. Pouvez-vous nous en toucher deux mots ?
Le travail de l’image est censé exprimer les forces impitoyables des plans d’urbanisme effrénés qui affectent actuellement le Vietnam. Il repose sur des travellings gratuits, qui happent puis quittent nos personnages et qui, de temps à autre, repoussent à l’arrière-plan les vues du paysage, au profit d’éléments visuels du chantier. De plus, en incorporant le design sonore, je souhaite alterner entre des représentations de chantier bruyant et bondé, et de l’autre côté, une nature sauvage silencieuse, captée en dehors des heures de travail, à savoir à l’aube et au crépuscule. En d’autres termes, l’extraterrestre apparaît dans un décor contre-utopique aux portes d’une transformation majeure.
Quel a été le plus gros défi à relever lors de la réalisation de Bình ?
Avec une équipe de cinq personnes, en comptant les acteurs qui jouaient l’extraterrestre et la médium, j’ai suivi la construction de Tam Chuc pendant une année ; ces images documentaires sont devenues plus tard la trame de la partie fictionnelle du film. Le scénario se construisait petit à petit, au retour de chacun de ces séjours sporadiques. C’est une organisation exigeante et précise, qui dépendait de l’évolution du chantier tout en restant ouverte aux possibles. Avec ces heures de séquences documentaires étalées dans l’année, de la phase d’écriture jusqu’à la phase de montage, le défi a été de ne retenir que les quelques plans qui aboutiraient dans le film pour raconter de manière visuelle une histoire en cohérence avec la partie fictive.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
Même si le court-métrage a été et restera un format singulier, je pense que les progrès technologiques peuvent ouvrir de nouvelles pistes de narration efficace. Beaucoup de gens du métier ont tenté l’expérience de la réalité virtuelle et d’autres nouveaux médias. D’autant plus en période de pandémie, alors que le public n’a accès qu’aux écrans disponibles à la maison mais qu’il s’en est lassé, la réalité virtuelle a les moyens de les faire sortir de la banalité de leur environnement immédiat. Le format court se prête bien à ce médium dans la mesure où il permet aux spectateurs de se plonger dans une situation du début à la fin, dépeinte en temps réel, dans un endroit précis, sans avoir à sauter d’un angle ou d’un espace à un autre.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Allez voir ce qui se passe sur Airbnb Online Experiences ! De spectacles de drag queens à Pasta with the Grandmas (des cours de cuisine traditionnelle avec des grands-mères italiennes, ndt), il y a tout ce qu’il faut pour vous distraire et vous combler culturellement.
Pour voir Bình, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I11.