Dernier verre avec Un corps brûlant
Entretien avec Lauriane Lagarde, réalisatrice de Un corps brûlant
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la question de la rencontre amoureuse et envisagez-vous de réaliser d’autres films sur cette thématique ?
J’avais très envie de faire un film physique où les corps seraient mis à l’épreuve. Cette rencontre n’a rien de naturel. Au-delà de la personnalité de ces deux filles, au-delà des mots, du langage qui les séparent, ce sont leurs corps qui s’attirent, qui se cherchent et qui brûlent de se rapprocher. Au final, le film dans son ensemble fonctionne un peu comme une image de ce que l’on peut ressentir lorsqu’on « tombe » amoureux·se. En termes de sensations, je voulais qu’on passe d’un extrême à l’autre. Du froid des glaçons, du frigo, des glaces à la chaleur des corps qui transpirent, saignent, s’agitent et se tournent autour. C’est un peu comme si les corps exprimaient ce que ces filles ne pouvaient pas se dire. Sur la thématique de la rencontre amoureuse, j’écris effectivement une nouvelle fiction autour d’une femme qui refuse de se faire (re)prendre au piège de l’amour. Et surtout, je réalise actuellement un documentaire (Des Amours, produit par les 48° Rugissants) sur ce qui disparait et ce qui reste à la fin d’une relation amoureuse. Le film commence à la séparation d’un couple et suit chaque ex-amant dans sa vie d’après.
À quel point étiez-vous intéressée par la question de la liberté sexuelle et des dangers qui pèsent sur cette liberté pour ce film ?
Le film ne parle que de ça. Tous les personnages sont dans une période de découverte de leur sexualité. Leur corps est plein de pulsions, de désirs, qu’ils ont du mal à comprendre et à contrôler. C’est ce que Lina vit d’autant plus violemment que son attirance ne correspond pas aux normes hétérosexuelles. Comme son corps s’exprime naturellement, avec puissance, on a l’impression qu’elle a pleinement conscience de ce qu’il s’y joue. Or, ce n’est pas le cas. Aujourd’hui, affirmer sa sexualité a l’air facile. On vit dans une époque où, heureusement, il y a eu de véritables avancées dans la reconnaissance de la multitude de manières d’être et d’aimer. Mais le chemin est encore long pour que l’ensemble des orientations sexuelles soient considérées comme naturelles. En attendant, s’affirmer lesbienne, gay ou bi est loin d’être une simple formalité. Cela demande une connaissance de soi et un courage de dingue. Et les risques encourus pèsent parfois très fort dans la balance. C’est aussi pour cela que les obstacles sont évoqués par image, par sensations, dans le film (l’enfermement lorsqu’elle est chez elle par exemple) comme s’ils planaient sur la tête des personnages.
Pourquoi vouliez-vous construire cette rencontre autour d’un défi ?
Plus que de défi, je parlerais de parade amoureuse. Sauf qu’ici, ce ne sont pas les « mâles » qui sortent le grand jeu pour séduire les « femelles » mais ce sont les filles qui fixent leurs propres règles. La drague devient un jeu, mutuellement consenti et débarrassé de rapports de force. Je voulais que leurs échanges physiques deviennent presque un dialogue. Comme si elles s’exprimaient à travers les mouvements de leurs corps.
Vouliez-vous dès le départ que ce soit le parkour ou est-ce venu plus tard ?
Le parkour est venu dès le départ. J’avais souvent vu des images de traceurs qui franchissaient des obstacles avec une souplesse et une grâce ultra fluide. Ils donnaient l’impression que ces obstacles n’existaient pas. Ils les « effaçaient ». C’est cette idée que j’ai voulu transposer dans le film. Sauf qu’ici, les deux filles ne cessent de franchir des obstacles pour aller l’une vers l’autre. Elles se réapproprient l’espace extérieur en traçant leur propre chemin de désir. Comme si, à travers leurs déplacements, elles marquaient un territoire de plus en plus vaste dans lequel elles pouvaient s’exprimer librement. Et pour mieux révéler ce mécanisme, j’ai donné à cet espace un aspect irréel en le débarrassant de ses occupant·e·s habituel·le·s (en majorité masculin). Il fallait laisser place à ses filles pour qu’elles s’expriment pleinement.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marquée ?
Le premier court métrage de François Ozon, Une robe d’été, m’a profondément marquée. En le regardant, je me souviens que mon corps réagissait très fort. Mes sens étaient comme « en éveil ». Cette dose de plaisir intense, je la ressens rarement au cinéma. Chaque personnage s’autorise à jouir sans retenue, sans jalousie, en toute insouciance. Mais si la liberté sexuelle des trois êtres en présence dans le film est captivante à voir, le film dans son ensemble va au-delà. Il déjoue sans cesse les réactions qu’on pourrait attendre des personnages. Il nous surprend sans cesse en jouant avec les stéréotypes. Au final, il reste de ce film une apparente simplicité alors que sa construction est très complexe car elle s’élabore comme un mille-feuille, sur tout un tas de niveau.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Je poursuivrais ma réponse précédente en disant que ce qui fait un bon film, selon moi, c’est la manière de raconter une histoire en l’émaillant d’une multitude de petits détails en apparence anodins. En s’accumulant, ces détails fonctionnent comme des indices, des petits cailloux qui parsèment le chemin des personnages. On est surpris de les retrouver là et de voir qu’ils suscitent telle ou telle réaction. Grâce à eux, on devine les fêlures, les failles des personnages, et la manière dont ils doivent les surmonter. L’émotion peut alors surgir et nous envahir. Et personnellement, c’est ce que je recherche au cinéma.
Pour voir Un corps brûlant, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F3.