Dernier verre avec Mass Ave
Entretien avec Omar Kamara, réalisateur de Mass Ave
Quelles étaient vos intentions à travers le récit de la difficile relation entre un père et son fils ?
En tant que migrant afro-américain de Sierra Leone de la première génération, les différences entre mon père et moi m’ont toujours sauté aux yeux. On n’avait pas la même façon de voir la vie ni de gérer nos émotions. En conséquence, on passait notre temps à se disputer, des plus petits sujets de discorde, comme l’heure à laquelle je me levais, à ceux de grande échelle, comme là où j’en étais du point de vue professionnel. On a perdu trop de temps à se braquer, et plus grave encore, à ne pas s’écouter, jusqu’à ce que l’évènement traumatisant présenté dans le film ne renverse complètement notre relation. Je voulais montrer que les micro-agressions peuvent vraiment faire des dégâts dans une relation, et, j’espère, inciter les gens à ne pas gaspiller leur temps comme mon père et moi, à créer des liens et à passer du temps ensemble.
Votre film aborde beaucoup de sujets brûlants, comme les violences policières et le racisme. Ça a dû être un projet chargé émotionnellement, comment vous êtes-vous senti une fois le film terminé, au moment de le partager avec le monde ?
Je crois que la plus grande difficulté du projet tenait au fait que le film était basé sur ma vraie vie. Les évènements décrits nous sont arrivés, à moi et mon père. Je n’avais pas pris conscience de l’ampleur de ma difficulté à gérer ce qui s’est passé ce jour-là, jusqu’au jour où nous avons tourné les scènes décrivant la violence policière et le racisme. Ça m’a atteint viscéralement. En plus, à cause de la pandémie, nos jours de tournage avaient été reportés, et nous nous sommes finalement retrouvés à tourner le film après les meurtres de George Floyd et d’Ahmaud Arbery. Ça a donné encore plus d’urgence et d’importance aux scènes. Les acteurs et les autres membres de l’équipe ont tous senti le poids du racisme ce jour-là, heureusement qu’on pouvait compter les uns sur les autres pour surmonter tout ça. J’espère aussi qu’un peu de toute cette peur et de toute cette angoisse s’est transférée au jeu des acteurs, dans cette scène qui décrit à quel point le racisme peut-être horrible et effrayant. On espérait que le produit final puisse aider à délier les paroles et à faire ce qu’il faut pour éviter que ce genre de situations ne continue à se reproduire.
Que pensez-vous avoir appris à travers la création du film ?
La plus grande leçon a été de croire en ma voix, en mon propre style cinématographique. Je l’ai produit en école de cinéma, ce qui m’a valu beaucoup de remarques de camarades m’expliquant que telle ou telle chose ne marcherait pas, ou qu’il y avait trop de dialogue , etc. J’ai vu tellement de films que j’aime utiliser des structures et des techniques similaires pour créer l’émotion que j’ai écouté mon instinct et m’en suis tenu à ce que j’avais prévu. Je suis heureux d’avoir cru en ma voix intérieure, parce que ce qu’on voit à l’écran en est le fruit, et c’est gratifiant de voir le film faire écho. J’ai aussi appris à faire confiance en mes collaborateurs. Le cinéma est un sport d’équipe, et c’est un grand luxe que d’avoir des gens plus talentueux que soi-même à ses côtés, parce que c’est ce qui pousse le film à son plus haut niveau. J’ai appris à croire dans le talent de mes collègues, et je sais qu’ils assureront quoiqu’il advienne.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Short Term 12 de Destin Daniel Cretton et Pariah de Dee Rees ont été des influences capitales pour le film. Principalement parce qu’ils agissent comme des démonstrations de faisabilité, tout en tirant pleinement profit des caractéristiques du format même du court. Le co-scénariste et moi, nous nous en sommes fortement imprégnés au cours de l’écriture.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Pour moi, un bon film est tout ce qui peut transporter le public et lui faire ressentir quelque chose. Quel que soit ce ressenti : la colère, la tristesse, la frustration… C’est un film qui est capable de me laisser me perdre dans l’histoire et les personnages, de me faire oublier un instant où je suis et ressentir l’émotion, c’est ça un bon film selon mes critères.
Pour voir Mass Ave, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I12.