Dernier verre avec Prishtinë, 2002 (Pristina, 2002)
Entretien avec Trëndelina Halili, réalisatrice de Prishtinë, 2002 (Pristina, 2002)
Qu’est-ce qui vous a inspiré les personnages de ces deux amies ? Que vouliez-vous mettre en avant dans cette relation ?
Les deux personnages sont basés sur des personnes existantes. L’histoire elle-même s’inspire d’une histoire vraie, avec quelques détails fictifs. Ce sont les personnages qui sont à l’origine de l’idée du film. Avant d’écrire le scénario, j’ai discuté avec Ermal, le producteur du film, qui est aussi un ami. Je lui racontais des histoires de mon enfance, en cette période de l’après-guerre. Je lui parlais de nos histoires d’amour et d’amitié entre jeunes ados. Et je lui ai parlé d’une de mes meilleures copines, qui était très différente de moi, et qui m’impressionnait beaucoup. Je l’admirais, et ses anecdotes personnelles devenaient une partie de ma vie (qui était moins intéressante que la sienne). Je pense qu’on se rend compte tout de suite que le personnage du film s’inspire de mon histoire personnelle. Impossible de le cacher. Même les actrices me l’ont dit dès qu’elles ont lu le scénario. À travers cette relation, je voulais mettre en avant certains phénomènes de notre comportement individuel en société. En tant qu’individus, nous perdons notre authenticité par peur de ne pas être accepté. Avec le temps, nous finissons par nous fondre dans la masse, par perdre ce que nous sommes car cela nous semble peu intéressant pour les autres, quitte à perdre nos liens affectifs et intellectuels. C’est peut-être une peur d’être soi-même, ou de se retrouver seul dans sa bulle, de perdre le lien avec les autres et de finir tout seul. Voilà pourquoi nous sommes prêts à nous aliéner pour nous intégrer. Et je pense que ce phénomène se manifeste dès l’enfance. D’ailleurs, les enfants sont un bon outil pour mettre quelque chose en avant (la violence, l’amour, le traumatisme, etc.), car ce sont d’excellents imitateurs.
Pouvez-vous nous parler du lieu de tournage ? Certaines scènes se passent dans une sorte d’espace urbain désaffecté. Quel est le contexte ?
Le film a été tourné dans des quartiers de Pristina qui évoquent encore le début des années 2000. Dans cette période de l’après-guerre, ces terrains abandonnés étaient les seuls espaces de jeu pour les jeunes de la ville. C’était là qu’on se donnait des rendez-vous secrets, qu’on jouait, qu’on s’aimait, qu’on se battait, etc. En outre, je voulais montrer dans mon film que la ville regorgeait de graffitis et de diverses inscriptions murales indiquant la violence, la haine et le nationalisme des Serbes. On a passé un temps fou à vivre avec ces messages avant que Pristina ne commence à être reconstruite. À l’époque, ces endroits avaient un goût d’aventure, un côté inquiétant aussi, mais il y avait quelque chose d’exaltant qui rendait notre quotidien plus stimulant – en tant qu’ados, c’est cela qu’on recherchait. On se sentait plus indépendants, plus forts, plus rebelles. Donc à l’époque, et encore aujourd’hui, ce qui caractérise Pristina, ce sont ces terrains vagues, publics ou privés.
Comment avez-vous trouvé les deux actrices ?
Pour les personnages de Prishtinë, 2002, nous avons organisé une audition, et dès que je les ai vues, j’ai décidé de les prendre pour ces deux rôles.
Quel est votre parcours de réalisatrice ? Quelles histoires avez-vous envie de raconter ?
Ce film est mon premier film depuis la fin de mes études à l’école de cinéma de Pristina. Avant, j’étais journaliste vidéo. J’ai travaillé sur des documentaires multimédias principalement axés sur les droits de l’homme. Je m’intéresse à des personnages qui ont quelque chose d’unique, qui ont du mal à se faire accepter dans la société en tant qu’individus, ou encore des personnages qui sortent complètement de l’ordinaire.
Quel est votre court métrage de référence ?
J’ai plusieurs courts métrages de prédilection. J’en ai vu un il y a quelques années qui m’a beaucoup marquée, c’est Whale Valley, de Isanda Guðmundur Arnar Guðmundsson. Une histoire très simple et très touchante.
Que représente pour vous le festival de Clermont-Ferrand ?
En tant que jeune réalisatrice, être sélectionnée à Clermont-Ferrand a été la meilleure nouvelle de la fin de l’année, car c’est un de mes festivals préférés. Je ne suis jamais venue, mais d’après ce qu’on m’a raconté et ce que j’ai vu sur Internet, il y a un public nombreux et d’excellents courts métrages. Je suis ravie de pouvoir communiquer à travers le cinéma avec ce large public et avec plein de cinéphiles. Je vais beaucoup apprendre grâce aux retours sur mon film, mais aussi grâce aux rencontres avec d’autres participants. Je suis sûre que tout cela va m’inspirer pour mes projets à venir.
Pour voir Prishtinë, 2002 (Pristina, 2002), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I11.