Lunch avec A Goat’s Spell (Maudite chèvre)
Entretien avec Gerhard Funk, réalisateur de A Goat’s Spell (Maudite chèvre)
Pourquoi avez-vous choisi un bouc comme jeteur de sorts ?
En bref :à cause d’un souvenir de ma petite enfance où il y avait un bouc. C’était un épisode parfaitement anodin et il n’y a pas de raison pour qu’il me soit revenu, si ce n’est que cette expérience avait quelque chose d’étrange, même pour l’enfant que j’étais. Plus en détail : il n’y avait pas de bouc dans le scénario originel. Mieux, le film était destiné à être une histoire plutôt simple en animation 2D. Mais pour diverses raisons, il y a eu vraiment beaucoup de temps qui s’est écoulé entre la pré-production et le début de la production, temps pendant lequel j’ai fini par trouver bougrement ennuyeux le synopsis et l’idée du film dans son ensemble. L’animation exige une grosse quantité de motivation à long terme, et ça aurait été une vraie torture de mettre toute cette énergie dans un film pour lequel j’avais perdu toute passion avant même d’en entamer la production. Donc, pour relancer la machine, j’ai littéralement taillé le script en pièces, donné à l’ensemble une touche psychédélique, et j’ai également opéré une bascule radicale entre la 2D et les techniques de la 3D et de la réalité virtuelle (j’avais toujours eu envie de m’amuser avec la RV). Pendant cette refonte, une chanson bizarre et belle qui parlait d’un bouc a fait remonter ce souvenir d’enfance à la surface. C’est à ce moment que je me suis dit que ça pouvait être utile de mettre au centre du film le bouc de cette anecdote enfantine insignifiante. Alors, bien sûr, la magie caprine a opéré et j’ai pu finir le film.
Quelles sont les techniques utilisées pour A Goat’s Spell ?
En général il s’agit d’animation 3D par ordinateur, mais dans cet ensemble d’outils j’ai utilisé quelques techniques très différentes. Les intérieurs et les personnages sont en RV. Pour l’enfant et sa grand-mère (la forme noire qui nourrit l’enfant), j’ai bidouillé comme il se doit les dessins RV et pratiqué l’animation 3D usuelle. L’oiseau noir est lui composé image par image en RV. Les mouvements du bouc, du taureau, de la poupée et de plein d’autres choses sont générés par une simulation physique 3D, tandis que les nombreux gamins dans le labyrinthe sont le fruit d’une simulation de foule. Là où je me suis le plus amusé tout de même, c’est pour le professeur, que j’ai trafiqué comme une sorte de « poupée virtuelle » et dont j’ai joué les mouvements un peu comme s’il s’était agi d’une marionnette. La réalité virtuelle reste un environnement assez jeune, et c’est assez dur de trouver des bons outils techniques d’animation dans ce domaine. C’est pour ça qu’il m’a fallu « hacker » la RV pour m’en servir comme je le voulais avec le professeur. C’est aussi en détournant et en bricolant la RV qu’on obtient les vues subjectives. J’ai importé les scènes en RV et utilisé un suivi de mes mouvements de tête en substitution d’une animation filmée.
Qui a composé la berceuse qu’on entend vers la fin du film, est-ce qu’elle existait avant ?
Elle a été composée par Tobias Schneider et Anna Sumika Suzuki, la chanteuse. Tobias, qui a composé toute la musique du film, a trouvé que pour cette partie du film, ce que j’avais en tête était difficile à composer de manière traditionnelle. Il a suggéré l’improvisation. Le jour où j’étais dans son studio, il a invité Anna, chanteuse de jazz professionnelle, et ils l’ont improvisée ensemble.
À quel point appréciez-vous les récits non linéaires, vous avez d’autres projets de réalisation de ce type ?
Certes, j’aime beaucoup les récits non linéaires, mais la non-linéarité n’est pas ce qui m’intéresse le plus dans le fait de raconter une histoire. C’est plutôt une forme de narration expérimentale, qui va souvent user de schémas non linéaires, ou renoncer complètement à toute intrigue. J’espère avoir un jour dans mon travail le courage de monter des scénarios de ce type. D’ailleurs, A Goat’s Spell n’est pas non-linéaire, de mon point de vue. L’intrigue n’a rien de conventionnel, c’est sûr, vu qu’il se passe des choses étranges, mais ces choses étranges arrivent l’une après l’autre à un personnage, en suivant le modèle très commun du déroulement d’une journée. Dans mes prochains travaux, j’ai vraiment envie de continuer d’expérimenter le récit.
Y a-t-il un court-métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Si je devais en nommer un à brûle-pourpoint, ce serait Min Börda (The Burden), de Niki Lindroth von Bahr. Les comédies musicales, ça n’a jamais été mon truc, j’ai vraiment du mal avec ce genre. Min Börda est le seul film que je connaisse dans lequel la forme de la comédie musicale semble couler de source, et même, constitue une partie essentielle de la qualité du film. Au-delà de ça c’est un excellent film à bien des égards.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Un film peut être bon de beaucoup de manières très différentes. C’est comme la nourriture. Un bon film procure à l’esprit un bien-être semblable à la satisfaction que procure un bon plat. Mais il peut arriver qu’un film ait au moins un moment – une scène, un plan, une réplique – qui te prenne, toi précisément, parmi tout le public, et s’adresse à toi directement, personnellement. Alors le film montre quelque chose au-delà des mots. Un film qui peut faire vivre une telle expérience est un très bon film.
Pour voir A Goat’s Spell (Maudite Chèvre), rendez-vous aux séances de la compétition labo L2.