Dernier verre avec Au plaisir les ordures !
Entretien avec Romain Dumont, réalisateur de Au plaisir les ordures !
Pour votre deuxième court métrage, vous avez choisi de traiter le sujet du mépris de classe et des mécanismes de la domination sociale. L’actualité, des œuvres de fiction ou documentaires ou encore des lectures ont-elles nourri ce choix ?
Je ne vois pas comment l’actualité aurait pu m’inspirer pour traiter du mépris de classe, sachant que l’idée même de lutte de classes a été évacuée de toute actualité. Dès qu’on ose en parler, on a l’impression d’avoir un regard anachronique sur le monde. Alors s’il faut en plus le filmer, on se sent pousser de force une moustache stalinienne. La dernière fois que l’actualité a mentionné ce mépris de classe était au moment de parler de la première syndicalisation de Starbucks à Buffalo. J’étais étonné que cette nouvelle soit partagée dans les grands médias. L’idée du film m’est venue de manière évidente en faisant des recherches sur la présidence de Valéry Giscard d’Estaing et en tombant sur ce fameux 24 décembre 1974. Pour moi ça sonnait comme la prémisse d’un film d’Aki Kaurismaki…
Vous avez travaillé comme scénariste avant de passer à la réalisation. Comment avez-vous abordé l’écriture du scénario d’Au plaisir les ordures ?
Avec l’idée que j’allais devoir vendre sur Kijiji (le eBay québécois) tout ce qui se trouvait dans mon appartement pour faire ce film. J’avais déjà fait un prêt à la banque pour mon premier film, ce n’était donc pas possible pour le second. J’ai abordé l’écriture en pensant que chaque mot au scénario allait me coûter quelque chose. Ça peut paraître bête et contraignant, mais c’est un exercice qui me plaît de plus en plus. De toute façon, le minimalisme est à la mode.
Quelles directions avez-vous données à Steve Laplante et Caroline Dhavernas pour incarner ce couple de dominants ?
Aucune. J’aimerais pouvoir inventer quelque chose… Mais je n’allais pas commencer à diriger Steve et Caroline. Pour moi, dès le départ, c’en était hors de questions… Déjà que je ne les payais pas, je n’allais pas les emmerder non plus.
Qu’est-ce qui a guidé le choix de Guillaume Laurin, Hamza Meziani, Hamidou Savadogo, pour interpréter les trois éboueurs ?
La première fois que j’ai rencontré Hamidou Savadogo, il ne voulait rien entendre de mon « film de merde », il voulait me parler de ses anecdotes de gamin avec Thomas Sankara. Je connaissais déjà un peu l’histoire du « Che Guevara africain » alors chacune de ses nouvelles anecdotes me passionnait. Pas une seule fois nous avons parlé du film ou confirmé sa présence sur le projet, c’est comme si de manière tacite nous avions mutuellement outrepassé cette évidence. J’ai rencontré Hamza à Belleville, son quartier d’adoption, avec sa clique de potes, entre autres la star du hood Rabah Naït Oufellah. Heureux hasard, je venais tout juste de découvrir Thierry De Peretti et son film Les Apaches dans lequel Hamza joue, à son habitude, magnifiquement bien. Quand il m’a dit qu’il rentrait souvent en Corse pour aider à la boucherie familiale, j’ai su que j’avais non seulement une bête d’acteur, mais une bête d’humain devant moi. Je lui ai envoyé le scénario dès mon retour à Montréal. Guillaume Laurin était moins une découverte qu’une conquête. Si vous suivez quelque temps des éboueurs, une chose saute aux yeux ; c’est que c’est un métier qui pousse à l’authenticité. Guillaume est selon moi un grand acteur de par son authenticité, on ne sent jamais ses intentions. Il s’en est débarrassé – ou les a suffisamment intériorisées -. Étant un comédien assez occupé, je devais le convaincre de participer au projet. Notre première rencontre s’est faite autour d’un café third wave, je crois à ce jour que c’était une façon pour lui de me tester dans mes derniers retranchements.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Tous ceux qu’on ne m’a pas financés, m’inspirent particulièrement. J’ai beaucoup de difficulté à pardonner la médiocratie.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Mon obsession pour le scénario m’a longtemps handicapé. J’ai l’impression de ne pouvoir réellement répondre à cette question que de manière toute récente et pourtant c’est d’une évidence, un bon film. C’est d’abord un film qui s’assume comme œuvre cinématographique. Pardonnez ma tautologie, mais ce que je veux dire, c’est qu’il faut d’abord savoir ce qu’est le cinéma pour faire un bon film. Ce n’est pas un roman filmé, ce n’est pas une pièce de théâtre filmée non plus, à ce niveau, j’ai l’impression que le cinéma manque cruellement d’inventivité. Un bon film, c’est celui qui fait des choix ; qui ne montre pas tout et qui ne dit pas tout. Je crois l’avoir compris devant Un condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson.
Pour voir Au plaisir les ordures !, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I14.