Dernier verre avec Ayn Levana (Œil blanc)
Entretien avec Tomer Shushan, réalisateur de Ayn Levana (Œil blanc)
Comment vous est venue l’idée de Ayn Levana ?
Le film est autobiographique. Il y a environ deux ans, j’étais en chemin pour retrouver mon mentor pour finaliser le scénario d’un court métrage sur lequel je travaillais depuis plusieurs mois. C’était la date limite pour l’envoyer à l’une des fondations israéliennes pour le cinéma. C’est là que j’ai vu, au milieu de la route, le vélo que je m’étais fait voler. Un instinct agressif s’est emparé de moi et j’ai refusé de partir sans mon vélo. Ensuite, tout s’est passé comme le montre le film, mais avec une fin plus heureuse. Quand j’ai retrouvé mon mentor, encore tout chamboulé, il m’a conseillé d’en faire un scénario. Je l’ai écouté et 40 minutes plus tard, le scénario de Ayn Levana était prêt. Le court-métrage est sorti un an plus tard.
Ayn Levana aborde les thèmes des privilèges et de l’immigration illégale. Pourquoi est-il important de raconter cette histoire dans notre société actuelle ?
Ces dernières années, en Israël, j’ai vu de plus en plus de réfugiés venus d’Afrique pour échapper aux persécutions politiques et à la guerre. Ils n’ont pas la possibilité de rentrer chez eux. Même s’ils travaillent beaucoup, ils sont payés au salaire minimum. Ils font pourtant énormément d’efforts pour s’intégrer dans une société qui ne cesse de les rejeter. Comme dans la plupart des pays qui doivent faire face à une hausse des demandes d’asile, la population israélienne ne fait pas toujours preuve de patience, de compréhension ou de respect vis-à-vis des migrants africains. Plus leur nombre augmente, plus ce problème s’aggrave. C’est pour cela que ce sujet prend de l’importance dans mon film : on assiste à davantage de confrontations entre les citoyens et les réfugiés. C’était important pour moi d’aborder ce sujet, parce que j’ai l’impression que les spectateurs pourront se retrouver de manière objective dans les personnages de ce film et voir comment les images peuvent nous faire changer.
Comment se sont passés le casting et la direction des acteurs ?
Je voulais absolument que les acteurs principaux se rencontrent pour la première fois le jour du début du tournage parce que le langage corporel et l’énergie d’une première rencontre sont très compliqués à reproduire. J’ai donc travaillé avec eux séparément, jusqu’à ce que je les présente sous l’identité de leurs personnages sur le plateau. Je voulais aussi que le jeune homme incarnant Yunas ne soit pas un acteur professionnel, mais un réfugié africain pour qu’il partage son histoire avec le personnage. Après plusieurs mois de recherche, alors que je rentrais chez moi à 3 heures du matin, j’ai aperçu Dawit faire la plonge derrière une fenêtre faiblement éclairée d’un restaurant vendant des hamburgers sur le boulevard Rothschild. Je me suis approché et on s’est observés pendant quelques instants. On pouvait lire dans son attitude qu’il sentait que quelqu’un le regardait. Je lui ai dit : « Je veux que tu joues dans mon prochain film ». Il a ri car il ne me prenait pas au sérieux. Le lendemain, nous nous sommes retrouvés autour d’un café et nous nous sommes lancés dans l’aventure. Nous nous voyions deux fois par semaine. Nous échangions beaucoup et travaillions sur le texte et son langage corporel.
Ce film est un plan séquence, ce qui n’est jamais simple à réaliser. Pourquoi teniez-vous à ce plan séquence ?
C’est l’histoire d’un jeune homme qui vit une expérience stressante et intense. Plutôt que de réagir rationnellement, il est en proie à une rage égoïste. Tous ces événements lui tombent dessus, il n’a pas le temps de s’arrêter, de prendre du recul ou de respirer. Je voulais que les spectateurs soient placés dans la même situation que le personnage principal, Et ce n’est pas vraiment possible lorsque les plans s’enchaînent : chaque coupure donne au public un peu de répit. Je voulais que la caméra lie les spectateurs et le personnage principal dans un mouvement sans fin, que la tension ne cesse jamais.
Quel est l’avenir du format court métrage d’après vous ?
J’adore les courts métrages : j’aime les histoires brèves ou les moments qui vous saisissent immédiatement. C’est un sujet d’actualité pour les festivals, qui programment souvent uniquement des longs métrages. Je pense que l’heure de gloire a sonné pour les courts métrages. Pendant la pandémie, de nombreux festivals se sont déroulés en ligne et la sélection de courts métrages a souvent remporté un franc succès. Selon moi, c’est très positif et cela montre que les spectateurs aiment regarder des courts métrages. Peut-être que les grandes sociétés de streaming comme Netflix et Amazon vont commencer à en produire et à en diffuser.
Demain on reconfine, quels plaisirs culturels conseillez-vous pour échapper à l’ennui ?
Lors du premier confinement, je voulais quitter la ville. J’ai eu la chance de passer un peu de temps dans un atelier d’ébéniste dans le désert et j’ai travaillé le bois pour la première fois. La nuit venue, je faisais un feu avec les restes de bois. J’ai passé deux semaines fantastiques.
Pour voir Ayn Levana (Œil blanc), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I3.