Goûter avec Churchill, Polar Bear Town (Churchill, la ville des ours polaires)
Entretien avec Annabelle Amoros, réalisatrice de Churchill, Polar Bear Town (Churchill, la ville des ours polaires)
Comment avez-vous eu connaissance de la ville de Churchill et de sa situation complexe avec les ours polaires ?
Cela faisait plusieurs années que je connaissais la ville de Churchill. Lorsque j’étais enfant, j’avais vu la photo d’un ours polaire transporté dans un filet sous un hélicoptère. J’ai fait le lien plus tard, vers 2013, en tombant par hasard sur des reportages TV mainstream, où il était surtout question de la manière dont les habitants du lieu cohabitaient avec leur effrayant voisin : l’ours polaire. C’est en 2019 que j’ai posé pour la première fois mes bagages à Churchill. Au terme d’une immersion de 3 mois, de septembre à novembre, période de migration des ours polaires dans le quotidien de la ville, j’y ai constaté des faits plus complexes que la peur de l’homme pour l’animal sauvage. Ici, l’ours est à la fois devenu un divertissement pour les touristes, et une rente pour les habitants. Voilà le cœur du film.
Comment s’alimentent les ours sur leur route jusqu’à Churchill et lorsqu’ils la traversent ?
Les ours polaires ne s’alimentent pas lors de leur migration. A l’automne, vers septembre et octobre, ils attendent sur le rivage Nord de la Baie d’Hudson que l’eau gèle. En novembre, lorsque la baie s’est changée en glace, ils peuvent s’y aventurer pour chasser le phoque. Mais au printemps, la banquise fond, et le courant ramène les ours sur le rivage Sud de la baie. Alors, un nouveau cycle de migration recommence. Les ours se remettent en marche, direction Churchill, avec le ventre vide. Dans des conditions de vie normales, l’ours est capable d’attendre patiemment que son cycle alimentaire naturel se fasse. Mais Churchill est, pour lui, un îlot de tentation, un paradis de poubelles et d’odeurs de restaurants qui l’attire irrésistiblement. La vigilance des habitants et des agents de conservation permet de modérer leurs visites dans les rues de la ville. Mais cette surveillance n’est pas sans faille.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans le fait de suivre l’équipe de tournage qui interviewe les habitants ?
Lors de mon séjour à Churchill, en 2019, j’ai très vite compris la place prépondérante que les médias y occupent. En automne, lors de la période de migration des ours polaires, il faut les voir s’y bousculer. La ville se change alors en plateau de tournage, et les habitants ont appris à en tirer profit. Il m’a donc semblé important d’évoquer cet aspect dans mon film. Churchill n’est pas qu’un village subissant la présence embarrassante des ours polaires. C’est surtout devenu une rentable place touristique et les médias sont dans la boucle. Ce sont eux qui, par le biais de leurs reportages, attirent les visiteurs, souvent fortunés.
Comment avez-vous travaillé sur la lumière et les couleurs ?
Dès le début, j’avais l’intention de créer un univers froid, brumeux et cotonneux, représentatifs du Grand Nord. Ces critères ont compliqué l’organisation de ce tournage relativement court, car la météo n’était pas toujours conciliante. Mais finalement nous avons relevé le défi. Je voulais aussi que les couleurs tendent vers le bleu-cyan afin d’accentuer la froideur de la toundra, son climat extrême et son mode de vie rude. Pour l’inspiration, j’avais en tête un film finlandais (vu il y a fort longtemps) tourné lui aussi dans des conditions polaires, en Laponie. Impossible de retrouver son titre, ni même le nom du réalisateur. Par contre, me sont restées en mémoire les couleurs des images, et ce souvenir a influencé tous mes choix esthétiques.
Pour voir Churchill, Polar Bear Town (Churchill, la ville des ours polaires), rendez-vous aux séances de la compétition nationale F5.