Lunch avec Concertina (En accordéon)
Entretien avec Gabriel González Acosta, réalisateur de Concertina (En acccordéon)
Pourquoi filmer les frères ? Avez-vous d’autres projets cinématographiques autour du thème du lien fraternel ?
La fratrie m’intéresse pour l’intimité qu’elle implique. Je voulais explorer l’intimité du langage fraternel, et toutes les formes qu’il peut prendre au fil du temps, verbales, physiques, émotionnelles, dans l’entre-soi qu’occupent les frères. Quand je pensais à Concertina, les deux binômes de frères existaient dans un monde dont ils étaient comme détachés, isolés de tout ce qui les entourait. Pour cette raison, il fallait qu’il y ait une intimité, et c’est de là qu’est venue l’idée d’explorer cette intimité sous l’angle d’une fratrie. Un espace intime peut aussi générer une sorte de claustrophobie, à l’instar des endroits qui entourent les frères dans le film. Je n’ai pas de projets spécifiquement centrés sur ce thème, mais c’est vrai qu’il me vient toujours en tête des personnages qui se retrouvent unis à quelqu’un d’autre et séparés du reste du monde. Mes prochains chantiers contiennent des amoureux, des amis, des tribus qui partagent une intimité en étant retirés du monde. Cela semble une obsession récurrente.
Quel travail avez-vous fait sur les éclairages ?
J’ai beaucoup réfléchi aux lumières avec Yollotl Gomez Alvarado, le directeur de la photographie. Nous voulions contredire le postulat selon lequel la jungle et le ranch sont censés paraître « naturels ». Dès le début nous voulions déstabiliser l’environnement, le faire sembler artificiel, presque extraterrestre. L’idée n’a jamais été de décrire une jungle ou une maison de campagne, mais bien l’espace d’un rêve, espace qui peut aussi devenir celui d’un cauchemar. La lumière est vite devenue l’un de nos outils principaux créer cette instabilité du décor. Même si la majorité du film est tournée en extérieur, nous avons utilisé la lumière artificielle sur presque chaque plan. De cette manière, la jungle est devenue une sorte de laboratoire permettant toute manipulation. Et nous voulions rendre ces manipulations apparentes.
Qu’est-ce qui vous intéresse dans les rêves, vis-à-vis de Concertina et en général ?
Les rêves donnent souvent forme à ma démarche artistique. Pas forcément à la lettre, comme ce serait le cas à travers l’interprétation des rêves, mais plutôt dans le sens où les rêves représentent et constituent des expériences. Je suis très attiré par le sens de l’inachevé des rêves, par les trous qu’ils laissent dans leur déroulement. En ce sens je trouve que les rêves sont poétiques par essence, et qu’ils ressemblent beaucoup à mon expérience du cinéma. En somme, même quand je ne fais pas de film à propos de rêves comme Concertina, la forme du rêve reste dans les parages et me sert de prisme à travers lequel penser la narration, les personnages et le temps.
Pourquoi juxtaposer deux paires fraternelles, l’une dans un ranch et l’autre dans la forêt ?
Au début du projet, à chacun des arcs narratifs correspondait un scénario différent. À l’origine, il devait y avoir un film à propos d’un ranch, et un autre à propos de la jungle. Ils s’accompagnaient l’un l’autre, mais ils étaient destinés à être présentés séparément. Puis je me suis rendu compte que les histoires ne prenaient tout leur sens qu’en les entrechoquant l’une à l’autre. De cette manière la tension se propage non plus seulement à l’idée du rêve, mais sur la question de qui rêve de qui. C’est devenu un de mes centres d’intérêt primordiaux en faisant le film. Je me demandais sans cesse : qu’est-ce que ça veut dire, de rêver et d’être rêvé ? Le fait de reconnaître que chaque fratrie est désirée par l’autre est devenue l’une des pierres angulaires du montage du film et de la construction du récit. Tandis que les deux paires de frères continuent à raconter leurs rêves, la distance qui les séparaient commence à s’évanouir, ébranlant le monde qui les entoure. De cette façon le film devient quelque chose comme une séance de spiritisme où chaque binôme invoque l’autre. Et à travers cette invocation, leurs mondes changent et deviennent malléables. Ce pouvoir de la parole et de l’imagination m’a fasciné.
Y a-t-il un film qui vous a particulièrement marqué ?
Celui qui m’a fait une grande impression tandis que je commençais à travailler sur Concertina, c’est Montaña en Sombra, de Lois Patiño. J’ai aimé les textures créées et aussi le rapport au temps qui incite à la méditation. Même si le film est très différent de Concertina, dans son essence il a constitué une source d’inspiration pour moi et toute l’équipe. Quand je me suis rendu compte récemment que le film avait fait partie de la sélection labo de Clermont-Ferrand il y a quelques années, j’ai trouvé ça vraiment cool.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Un film qui a de la poésie. Pas la poésie en tant que genre littéraire, mais la poésie en tant qu’incommensurabilité de l’art et de la vie. Je n’ai pas beaucoup de goût pour les films qui prennent le spectateur par la main. Ce qui m’attire ce sont des films qui, à la manière des rêves, laissent la place nécessaire à l’émergence des associations d’idées, de la méditation, du sentiment. Un bon film est donc toujours pour moi une provocation, un ébranlement dont le sentiment me suivra partout, après la sortie du cinéma, tel un fantôme, et partagera ma vie longtemps après que les images elles-mêmes se seront éteintes. Un bon film va m’infecter de son virus, pour devenir ensuite mon immunité.
Pour voir Concertina(En acccordéon), rendez-vous aux séances de la compétition labo L5.