Décibels! Tindersticks et le projet « The Waiting Room »
À part. C’est l’une des premières pensées qui vient à l’esprit quand on parle de Tindersticks, formation anglaise tirée à quatre épingles née au début des années 1990. Depuis, ce groupe pas comme les autres a mené sa barque comme il l’a voulu, déclinant une pop élégante et atemporelle, piochant dans la soul, le folk ou la new-wave.
À la tête d’une discographie pléthorique, il a affiché John Barry sur une pochette, sorti des doubles-albums, consacré Lee Hazlewood, enregistré avec des orchestres, réalisé des disques live en édition limitée, repris ses propres chansons (et celles des autres aussi), convié à chanter nombre de femmes ou laissé son leader s’échapper en solo. En cours de route, il a souvent été question d’amitié(s), de fidélité, de joies, mais aussi d’hésitations et de remises en question. Car une telle odyssée ne peut être de tout repos. Au mitan des années 2000, elle a même failli prendre fin. Définitivement. C’est un divorce qui a finalement eu raison de cette crise. Du sextet originel, trois membres ont poursuivi l’aventure : la tête pensante Stuart A. Staples, le clavier Dave Boulter et le guitariste Neil Fraser, désormais accompagnés par le bassiste Dan McKinna, le batteur Earl Harvin et des invités à la loyauté éprouvée (Terry Edwards, entre autres).
© Richard Dumas
« On ne vit que deux fois », murmure le titre du film et de la chanson. Stuart Staples semble le savoir mieux que quiconque. Alors, expatrié en Creuse depuis près de huit ans avec femme et enfants, il ne veut rater aucune occasion, aucune collaboration, aucun projet – aussi périlleux soit-il. Récemment, le groupe a ainsi signé Ypres, âpre bande originale de l’exposition permanente sur la première guerre mondiale sise au In Flanders Fields Museum de la ville belge éponyme. Il s’est aussi joint aux festivités de l’inauguration de la Philarmonie de Paris, le temps d’un concert exceptionnel. Se mettre en danger, ne pas (plus) se répéter, ne jamais sombrer dans la routine. Routine ? Voilà bien un mot que ces gens-là ont banni de leur répertoire. Heureusement, les desseins ne manquent pas. Les rencontres non plus. Et celle qui nous intéresse ici remonte à l’hiver 2012. Cette année-là, Stuart Staples est membre du Jury Labo du prestigieux festival international du court métrage de Clermont-Ferrand. Il a été convié par l’un des organisateurs, Calmin Borel. Les deux hommes sympathisent – musique et images en mouvement forment un précieux ciment –, discutent, échangent, rigolent, trinquent et tirent des plans sur la comète. Oui, mais pas que.
Trois années plus tard, lorsque pour la première fois de son histoire, Tindersticks achève son nouvel album studio – le dixième – plusieurs mois avant sa sortie, son chanteur caresse la réalisation d’un projet qui lui tient à cœur : accompagner chaque chanson d’un court métrage. Une idée qui colle à l’ADN du groupe, tant ce dernier a montré au fil des ans son amour pour le septième art, de ses clips toujours fignolés (et de cette amitié avec le réalisateur Martin Wallace) aux magnifiques bandes-originales offertes aux films de la réalisatrice française Claire Denis, depuis Nénette Et Boni en 1996. Pour l’aider dans cette entreprise un peu folle, Stuart a bien sûr embrigadé Calmin. Pour échanger des idées, des noms, des adresses. Trouver des réalisateurs qui ne se laisseraient pas intimider par l’univers musical de Tindersticks, dont on a si souvent vanté les vertus « cinématographiques ». Conquis par ce projet ambitieux et l’intransigeance artistique de Staples, artistes déjàmajeurs dans le monde de l’image, les Britanniques Joe King et Rosie Pedlow, l’Allemand Christoph Girardet, le Brésilien Gabraz sont parmi les premiers à donner leur accord. Mais dans une telle entreprise, impensable de ne pas faire appel à la “famille” : alors, le grand Richard Dumas de l’agence VU (qui a “tiré”, parmi tant d’autres, les portraits de Miles Davis, Jarvis Cocker, feu Alain Bashung ou Keith Richards) et Claire Denis ont eux aussi répondu présents. Immédiatement.
Mais pour espérer mener à bien cette belle histoire, il fallait un troisième larron, un “passeur”, qui offrirait son savoir-faire dans le domaine de la production et de la diffusion. Alors, Calmin a détaillé le projet à La Blogothèque, ce site de passionnés que la terre entière nous envie, pour avoir créé, entre autres, les fameux « Concerts À Emporter », trop souvent copiés, mais rarement égalés. Aujourd’hui, les pièces du puzzle commencent à s’imbriquer. D’autres idées ont aussi germé –comme celle d’un concert exceptionnel de Tindersticks au prochain festival du court métrage (lors duquel seront présentés également tous les films réalisés). D’ici là –février 2016, date officielle de la sortie de l’album –, tous ces gens risquent d’échanger beaucoup de mails et plusieurs sourires, de partager quelques sueurs froides, de nourrir beaucoup d’espoirs, de travailler d’arrache-pied. Pour le moment, une seule certitude : le disque est terminé. Il porte le titre de travail de The Waiting Room.
L’attente, donc : ce moment où tous les espoirs sont permis.
Christophe Basterra
Ciné-concerts jeudi 11 février à 18h30 et 21h au Petit Vélo
© Richard Dumas