Dîner avec Die Geheimnisvollen Inseln (Îles dans la ville)
Entretien avec Marian Freistühler, réalisateur de Die Geheimnisvollen Inseln (Îles dans la ville)
Est-ce que ce sont les confinements, et la pandémie de manière générale, qui vous ont poussé à faire un film qui parle de nostalgie et de solitude ?
Ça va sans doute paraître paradoxal, mais ce que j’ai observé à l’époque des premières mesures de distanciation sociale, c’était tout l’inverse de la solitude. Il y a eu une période de plusieurs semaines à Hambourg, au printemps 2020, où on n’avait le droit de se déplacer dans l’espace public qu’à deux maximum. J’allais m’asseoir au bord du fleuve presque tous les jours, pour bouquiner, et je voyais des couples partout ! Ces groupes de deux, tous semblables, mais isolés les uns des autres, n’avaient pas l’air déprimés ou stressés. Ils avaient l’air d’apprécier de pouvoir se recentrer l’un sur l’autre, de couper un peu de tout le reste. Du coup l’image que j’avais sous les yeux était assez ambivalente : même quand le monde touche à sa fin, les couchers de soleil restent terriblement romantiques. L’incertitude qui planait, quant à la direction que nos vies prenaient, avait également un certain attrait, et la pandémie, au départ, avait des airs d’aventure. C’était quelque chose dont on faisait tous l’expérience pour la première fois. J’ai eu envie de donner forme à ce sentiment ambivalent. Il est important pour moi que ce film ne soit pas un film triste et morne sur la nostalgie et la solitude. Mais qu’il ait de l’humour, qu’il soit coloré, qu’il rende hommage à ces aspirations insatisfaites en tant que capacité à se projeter. Presque comme un tube de pop. Et j’ai toujours adoré les chansons où les paroles les plus tristes sont interprétées d’une manière joyeuse, qui met de bonne humeur.
Dans la scène où le personnage principal partage une barre chocolatée avec un étranger, les deux hommes échouent manifestement à créer un lien. Pouvez-vous nous expliquer un peu ce que vous vouliez que cette rencontre symbolise ?
Ce n’est pas tellement une histoire de symboles. C’est plutôt quelque chose de très concret, très tangible : pour la première fois dans le film, un dialogue se produit. Deux personnes se trouvent l’une en face de l’autre et se parlent. À ce stade du film, il est possible qu’on ait déjà oublié que ce genre d’interaction puisse se faire. C’est ce que je veux dire quand je dis que c’est très tangible, présent. Un petit événement spécifique. Mais c’est vrai, bien sûr, que les paroles de ces deux hommes n’atteignent pas l’autre et qu’il y a un deuxième niveau de lecture. Que les attendus d’une rencontre sont contrariés. J’aime beaucoup les dialogues qui disent autre chose que les mots qui sont prononcés. J’ai voulu essayer d’en écrire un. Du coup, quand le protagoniste explique les différences entre les barres chocolatées, c’est évidemment autre chose qui se joue, en dehors de la question de quelle barre est la plus croustillante et pourquoi. Cependant, j’ai du mal à dire qu’il n’y a aucun lien qui se crée entre eux. Il est bien question de partage. L’espace d’un instant, ils ne sont plus seuls. Même si, au final, ils se quittent sans aller plus loin. Alors, oui, c’est un peu triste, mais j’espère que c’était quand même un moment sympa aussi. Et peut-être même un peu drôle. Le film dans son ensemble parle du fait qu’il peut être parfois plus sympa de se contenter d’imaginer les choses sans avoir à les réaliser au final.
Être à la fois acteur et réalisateur sur ce film, comment est-ce que ça s’est passé ?
J’ai fait ce film de manière très spontanée, très intime et empirique. Au début, je passais juste beaucoup de temps dehors avec la caméra, tout seul, à observer les gens et les choses, de manière un peu documentaire. J’ai commencé à monter quelques scènes et eu l’idée de nouvelles scènes que j’avais envie de voir. Mon désir d’avoir un protagoniste avec lequel je puisse jouer s’est renforcé. C’est comme si j’avais besoin d’une structure narrative claire qui puisse me servir de chemin dont je pourrais m’écarter à tout moment, pour faire un petit détour. Alors j’ai écrit un scénario, mais je le modifiais sans cesse, en cours de route. J’avais besoin d’un acteur qui serait constamment à ma disposition (sans me réclamer de rémunération) et vu comment je m’y prenais pour construire le film, je me suis très naturellement dirigé vers l’idée de jouer ce personnage moi-même. Je ne suis pas acteur, mais j’adore jouer. C’était marrant, franchement. Pas d’inquiétude, ceci dit, il n’est pas question que ça devienne une habitude.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Je souhaite sauter cette question. Parce qu’il y en a trop et ça me gênerait de n’en choisir qu’un. Ou même deux ou trois. Même si c’est tentant. Je passe mon tour.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Tout film qui n’essaie pas d’être un bon film. J’aime les films qui font preuve de vulnérabilité, qui sont pleins de doutes et d’incertitudes. Qui essaient de donner forme à une impression vague, qui accueillent l’ambiguïté à bras ouverts. Qui ne sont pas parfaits, pas professionnels, pas cools. Les films qui ne se prennent pas trop au sérieux, mais qui prennent les spectateurs au sérieux. Qui observent et écoutent attentivement, et donnent au public l’opportunité de faire la même chose. J’aime les films surprenants qui prennent des décisions fortes, des films qui ne veulent pas spécialement être compris. Les films qui invitent le public à vivre une expérience et qui permettent de vagabonder. J’aime les films qui traitent leurs personnages avec tendresse. Les films qui ont de l’humour, parce que l’humour est la manière la plus sympa de montrer qu’il y a toujours plusieurs points de vue sur un même sujet. J’aime les films qui proposent une alternative à notre réalité. Qui ne font pas semblant de reproduire la réalité, mais qui n’en sont pas non plus complètement détachés. Une vérité d’illusion, plutôt qu’une illusion de vérité.
Pour voir Die Geheimnisvollen Inseln (Îles dans la ville), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I12.