Édito – compétition nationale 2022

12 décembre 2021
By Sarah Momesso
  • NATIONAL rectanle

Et que ne durent que les moments doux

L’édition 2022 de la compétition nationale est riche, forte de 1 867 films inscrits, les propositions de réalisateur·rice·s qui nous ont offert leur vision du monde, pragmatique ou onirique, nous gratifient d’une sélection intense, nerveuse, variée dans les formes et dans les genres, et non dénuée d’humour. Comme une invitation au voyage, intérieur ou lointain.

Il va de soi que la période traversée ces deux dernières années a réactivé nos envies d’ailleurs. Nous prendrons donc un plaisir non dissimulé à partir à la recherche d’ours polaires, à découvrir les steppes mongoles dans un polar halluciné, à nous réfugier dans les chansons de notre adolescence ou à monter à bord d’un ferry corse pour prendre le large et sortir de notre zone de confort.

Le voyage commence à côté de chez soi, en prenant des chemins de traverse pour mieux se perdre : en banlieue, au beau milieu des bois, au parc Montsouris, dans un chalet enneigé, ou bien dans les replis de son propre corps, passé au microscope.

L’évasion est aussi intérieure : lancés dans une quête intime, certains protagonistes nous révèlent leur histoire sous le prisme de la nature inchangée du décor de leur enfance, de leur quartier marseillais, du deuil soudain d’un absent trop longtemps disparu… Tandis que certain·e·s auteurs et autrices n’hésitent pas à user de la métaphore, tantôt poétique pour symboliser le mal du pays, tantôt lugubre pour évoquer les confins de la maladie mentale. D’autres proposent avec brio des dystopies profondément humanistes, une manière d’invoquer le pire pour faire surgir le meilleur en chacun·e de nous.

Dans cette vision semi-cauchemardesque se dessinent les prémices d’une révolte, qui passe d’abord par la dénonciation de la violence du monde du travail, absurde et brutale, qui désenclave nos convictions personnelles, jusqu’à l’aliénation. Le monde va mal et des figures familières se dressent et font entendre leur voix : profs, ouvrier·e·s, chômeur·se·s, sage-femmes, écrivains, laissé·e·s-pour-compte… nul·le ne sera oublié·e.

Et, dans ce grand tourbillon d’indignation fondée, le mot sororité prend enfin son ampleur, sorti des limbes dans lesquels on l’avait cloisonné depuis le XVIe siècle. Les femmes sont là, majoritaires, aussi bien devant (quatre fois incarnées par la comédienne Pauline Lorillard) que derrière la caméra, offrant des portraits d’“insoumuses” vibrantes, vivantes, unies. 

Dans cette jungle sociale, les hommes ne sont pas en reste, représentés tantôt comme une menace hors-champ pesante ou un danger imminent, brutal et irréfléchi, tantôt comme un compagnon ou voisin fragile et pudique : les masques tombent, les cœurs se dérobent. Les liens se tissent et se défont, au gré d’un décès, d’un trauma, d’une disparition ou, plus proche de nous – lâchons le mot -, d’un confinement. Certain·e·s choisiront alors la simplicité d’une escapade cathartique via un éloge à la lenteur et la paresse salvatrices. D’autres, plus ésotériques, iront plus loin en s’aventurant dans le rite et le mystique, que les cinéastes nous amènent à questionner sous l’angle de la comédie ou avec mélancolie.

Deux films représenteront la France dans la compétition internationale : Son Altesse Protocole d’Aurélie Reinhorn (découverte en 2020 avec Raout Pacha qui avait remporté le prix CANAL+ et le prix du rire) et Les Engloutis de Caroline Guiela Nguyen, deuxième pendant d’un dyptique composé de sa pièce Fraternité, conte fantastique.

Deux dramaturges, comédiennes et metteuses en scène brillantes et à l’écoute du monde qui transposent à l’écran avec une économie de moyens et dans un univers minimaliste leur vision poétique et crue de la solitude et du désœuvrement social.

Si Laurent Terzieff sur le plateau de Bouillon de Culture en 1995 vantait les qualités du théâtre comme « le lieu où les fantômes espèrent bien rencontrer ceux du public […], comme un miroir que l’on tend [aux spectateurs] et qui raconte et reflète la vie des hommes par l’expérience sans cesse renouvelée du langage », alors nul doute que ces deux visionnaires ont su transfigurer leur art pour se faire passeuses d’une histoire à la fois intime et commune. 


Chiffres-clés

50 films

42 fictions en prise de vue en continu

5 fictions animées

3 documentaires en prise de vue en continu

30 films réalisés ou coréalisés par des femmes

12 premiers films

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