Lunch avec Egúngún
Entretien avec Olive Nwosu, réalisatrice de Egúngún
Comment est né Egúngún ?
C’est venu de l’idée d’interroger mes propres sentiments à propos du concept de « foyer ». En baroudant, j’ai vécu sous de nombreuses identités, et c’est une question qui me taraude souvent : cette perception de différentes vies vécues, et des possibilités de vies. Comment le sort nous emmène sur une seule voie, en laissant à l’écart toutes les autres versions de nous-même : vraiment, l’injustice, l’aléatoire, et la beauté de tout cela. C’est relié au déguisement de l’Egúngún, quand les ancêtres reviennent dans un espace subconscient pour nous rappeler leurs existences et nous confronter à beaucoup de choses subliminales, que nous ne connaissons pas vraiment – les blessures du passé, les fêlures du présent – pour que nous puissions y faire face. Dans ce sens, le film est à mon avis une méditation sur la mémoire, l’identité, le devoir. Sur les nombreuses versions de nous mêmes qui nous hantent et nous guérissent. Et j’espère, sur la forme d’acceptation – du Passé, du Soi, de l’Ego – qu’on peut ressentir après beaucoup de temps passé sous un déguisement.
Que souhaitiez-vous montrer à travers le personnage de Salewa, cette Nigérienne qui a quitté son pays pour vivre à Londres et y épouser une autre femme ?
Salewa incarne le déracinement, l’altérité, en quête d’un rêve jamais réalisable. Toute sa vie, une part d’elle-même est restée cachée. Elle s’est toujours déguisée. Chez elle à Lagos, il lui fallait cacher son identité sexuelle. À Londres, dans son mariage à une Anglaise, c’est sa nationalité, son identité nigérienne qui est effacée. Elle s’est parfaitement acclimatée au Royaume-Uni, c’est un femme qui réussit, mais elle se cache toujours. Et ce qui est caché, en somme, est toujours un autre. C’est pourquoi sa blessure, c’est de ne jamais pouvoir guérir pleinement. Elle ne peut jamais être pleinement elle-même.
Qu’est-ce que symbolise le problème oculaire de Ladi ?
L’œil de Ladi représente ce fardeau que nous avons tous à porter, je crois. Nous passons beaucoup d’années à camoufler notre blessure centrale, à l’habiller de bandages, mais elle reste là. Et le moment vient où la douleur éclate. J’ai vécu cette expérience, ça se rapproche d’une forme de folie. Ce que nous avons refoulé revient à la charge et nous presse d’y faire face. C’est comme si passé, présent, futur, s’effondraient pour ne plus laisser place qu’au seul sentiment. Il n’y a pas de logique à cela, c’est quelque chose qui vous attaque et refuse de cicatriser. Je voulais vraiment qu’il y ait concrètement une plaie qui s’ouvre, juste avant que Salewa se retrouve confrontée à elle-même.
Quelles indications de jeu avez-vous données à Chukwulozie Sheila et Aladese Teniola ?
Les deux actrices étaient formidables. Sheila est une danseuse, et elle utilise beaucoup son corps dans son jeu. Tout était très tactile, basé sur le sensoriel, il s’agissait d’imaginer les sons, les odeurs, les sentiments et de les intégrer dans son corps. Avec Teni, c’était une approche différente, elle est actrice depuis des années, et elle posait beaucoup de questions sur les motivations de son personnage, ce qu’elle attendait de Sheila, et aussi des questions sur son passé. On y a répondu ensemble et c’est vraiment ce qu’elle voulait. Je crois vraiment dans la prise en compte des besoins spécifiques de chaque acteur. Ensuite on a tourné la scène principale, sous l’arbre, plusieurs fois. Je crois qu’on a fait 14 prises. C’est un plan séquence assez long et il fallait maintenir tout le long un sentiment d’organique, de brut, de réel. Je pense que le fait de le faire autant de fois l’a fait évoluer. À chaque prise, les interprètes arrivaient à trouver quelque chose de nouveau et à l’ajouter aux progrès de la prise précédente. Vers la fin, il s’est créé une vraie alchimie, une désinhibition, une vraie sincérité dans la scène. Je suis très fière du travail qu’on a fait.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Je reviens toujours à Peel, de Jane Campion, et à Wasp d’Andre Arnold. Peel est si particulier, si sensuel, il m’a vraiment ouvert la voie à une manière différente de faire des films. Et je n’oublierai jamais le personnage principal de Wasp. Son audace m’a époustouflé. J’aime les femmes audacieuses.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Hmm, pour moi, un bon film a quelque chose de profondément personnel. C’est un film qui ébranle mon monde. J’entends par là qu’il ne me laisse pas l’ignorer, que c’est incontrôlable. Un bon film persiste à m’affecter sans que je puisse m’en échapper. Ça peut arriver pour plein de raisons différentes, mais généralement c’est à cause d’une singularité et un courage dans la vision, une émotion qui semble si sincère qu’elle fait résonner mon corps à un niveau profond de la conscience. Je crois que c’est parce que la cinéaste a transféré quelque chose d’elle même dans sa création. C’est la magie du cinéma, non ?
Pour voir Egúngún, rendez-vous aux séances de la compétition internationale I10.