Dernier verre avec A Broken Fan (Un ventilateur cassé)
Entretien avec Assaad Khoueiry, réalisateur de A Broken Fan (Un ventilateur cassé)
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les conditions qui amènent votre personnage principal à passer à l’action ?
Quand vous êtes le seul soutien de famille, vous devez pouvoir nourrir ceux qui dépendent de vous, satisfaire leurs besoins les plus élémentaires, payer les frais de scolarité, le loyer, les factures… Si vous perdez votre travail, et par conséquent votre source de revenus, vous commencez à vous sentir inutile. Vous êtes alors contraint de réagir. C’est ce qu’il se passe pour Adel, un père de famille de 42 ans sans emploi et aux abois, qui doit subvenir aux besoins de sa femme, de leurs trois enfants et de ses parents.
Son personnage s’inspire-t-il d’une de vos connaissances ?
En réalité, je me suis inspiré de nombreuses personnes que je connaissais. J’ai vu des parents se débattre pour subvenir aux besoins élémentaires de leurs enfants : certains avaient perdu leur emploi ou fermé leur commerce à cause de la situation économique, tandis que beaucoup d’autres se sont suicidés après avoir perdu espoir en un meilleur futur. J’ai alors décidé d’écrire l’histoire d’un personnage en chair et en os : un père de famille libanais déprimé et inquiet, mais prêt à agir pour assurer un meilleur avenir à sa famille.
Le climat et les pannes d’électricité ont-elles impacté votre tournage au Liban ?
À cause de l’inaction du gouvernement libanais, le secteur privé est devenu très puissant dans le pays et joue le rôle de l’État. Par exemple, des générateurs privés ont pris la place des réseaux électriques nationaux, les cliniques privées ont remplacé le système de santé public et les écoles et universités privées ont supplanté le rôle du gouvernement dans l’éducation publique. Et la liste est encore longue… Le tournage à Beyrouth s’est déroulé dans des conditions climatiques clémentes, principalement en extérieur. Pour les scènes d’intérieur, nous avons dû louer un générateur privé pour éviter les coupures de courant. Il faut aussi évoquer l’absence totale du gouvernement dans le financement des arts et le soutien aux artistes, quels qu’ils soient, ce qui complique énormément le processus de réalisation d’un film.
Pouvez-vous nous parler de votre expérience en tant que réalisateur ?
Parfois, je regrette d’être réalisateur ; c’est un métier épuisant, qui demande beaucoup d’énergie, de temps et d’argent, surtout dans un pays en développement comme le Liban. Mais la récompense, c’est la puissance que peut revêtir le cinéma. Grâce à lui, je peux m’exprimer, partager mes sentiments, mes peurs et mes angoisses. Je peux transformer ma colère envers l’injustice et les inégalités en une œuvre d’art cinématographique. J’ai suivi des études de cinéma à l’Université Saint-Esprit de Kaslik, au Liban. J’étais en admiration devant les films et des réalisateurs tels que les frères Dardenne, Nuri Bilge Ceylan, Ken Loach, Andrey Zvyagintsev ou Abbas Kiarostami.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
J’ai sans doute vu des centaines de courts métrages et chacun d’eux m’a impressionné à sa manière. Si je dois absolument en citer quelques-uns, je dirais : The Big Shave de Martin Scorsese, Le Ballon rouge d’Albert Lamorisse et Une robe d’été de François Ozon. Peut-être parce qu’il s’agit des premiers courts métrages que j’ai vus au début de ma carrière de réalisateur. J’adore aussi Les Nouveaux Sauvages de Damian Szifron et Le Diable n’existe pas de Mohammad Rasoulof, qui sont des longs métrages composés de plusieurs courts métrages.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
En règle générale, je ne suis pas un grand fan des films de divertissement purs. Le scénario, les personnages, le jeu d’acteur, la mise en scène et la musique constituent des éléments importants pour réaliser un bon film, mais la présence du réalisateur et son point de vue concernant tous ces éléments sont ce qui permet d’aboutir à un excellent film. Un film doit avoir des choses à dire, et selon moi, cela doit se ressentir dans tous ses aspects : scénario, dialogues, éclairage, objectifs, accessoires, sons, musique, colorimétrie… Tout cela doit servir l’histoire ainsi que la position du réalisateur vis-à-vis de son film, mais aussi dans la vie en général. Après tout, un bon film est un film qui vous touche au cœur d’une manière ou d’une autre, peu importe son origine, son genre ou son budget. C’est aussi simple que cela.
Pour voir A Broken Fan(Un ventilateur cassé), rendez-vous aux séances de la compétition internationale I6.