Lunch avec Astel
Entretien avec Ramata-Toulaye Sy, réalisatrice de Astel
Comment vous est venue l’inspiration pour Astel ?
De mon expérience personnelle : du lien fort avec mon père lorsque j’étais jeune et de ma peur d’intégrer le « monde » des femmes à un âge où je n’étais pas encore prête. Cette histoire, celle d’Astel, je l’ai moi-même vécue, non pas au Sénégal mais en France, à Bezons, ville dans laquelle je suis née et où j’ai grandi.
À quel point étiez-vous attachée au fait de placer l’histoire dans un environnement rural ?
Astel est une histoire universelle qui raconte l’amour entre un père et sa fille, et même s’il est vrai que j’aurais pu la raconter ici, en France, il était important pour moi de transposer cette histoire au Fouta, une région rurale au nord du Sénégal d’où sont originaires mes parents. Avec ce film, je souhaitais stimuler les imaginaires en abordant des thèmes malheureusement encore trop peu abordés dans le cinéma africain.Parce que les grandes histoires d’amour, les passages de l’enfance à l’âge adulte comme celui d’Astel, les quêtes d’identité, tout cela fait aussi partie du quotidien des Africains. Et il est important de dépeindre la beauté de ce continent et la complexité de ses peuples.
Comment avez-vous choisi les comédiens ?
Tous les acteurs du film sont des non-professionnels. Les Peuls font preuve d’une certaine pudeur, que ce soit moralement et physiquement : dans leur regard, leur corps, leurs mouvements, leur personnalité… C’est pour cette raison qu’il était important pour moi de travailler avec des habitants de cette région afin d’être le plus fidèle possible à leur nature. J’ai eu la chance de pouvoir travailler avec une directrice de casting, Iman Dijonne, qui est allée sillonner la région à la recherche de mes personnages. La plupart des habitants du Fouta sont analphabètes et vivent dans des villages sans électricité. Ils n’ont quasiment pas de rapport à l’image, et encore moins au cinéma. Quand je suis arrivée sur place, afin de faire mon choix final, j’ai donc passé beaucoup de temps à discuter avec les personnes présélectionnées – de leur quotidien, de leur famille, de leurs vies… Mon choix ne s’est pas fait sur des essais à partir du scénario, mais sur des rencontres, des sensibilités.
Êtes-vous particulièrement intéressée par la question de la transition de l’enfance à l’âge adulte et pensez-vous explorer cette thématique dans d’autres films ?
Je pense que ce qui m’intéresse réellement, et que j’explore dans tous les films que je réalise et dans ceux que je co-écris, c’est la bascule de jeune fille à femme, et les réflexions, les désillusions qui vont avec. Comment, selon les traditions, les cultures, les personnalités, les jeunes filles vivent ce passage : est-il brutal ? Joyeux ? Inconscient ? Mythique ? Puissant ? C’est exactement ce que je cherche à raconter dans Astel.
Qu’est-ce qui vous intéressait dans la rupture soudaine du rapport affectif entre les personnages ?
Que rien ne soit jamais expliqué à Astel. Que tout se passe à travers les non-dits et les silences. Que les ruptures ne puissent se dire, et l’amour encore moins. Qu’une jeune fille, durant sa transition, soit obligée de tout comprendre par elle-même. Qu’elle doive affronter seule ses émotions et les émotions extérieures dans un moment où tout change en elle et autour d’elle. À quel point cela peut être violent, mais aussi beau. À quel point cela peut être brutal, mais aussi mélancolique. Je souhaitais raconter la solitude de ce moment pour Astel, mais également pour son père, qui est lui-même victime des traditions et de sa culture.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marquée ?
J’aime beaucoup Small Death de Lynn Ramsay, que je trouve très brillant dans sa (supposée) simplicité et qui décrit subtilement et poétiquement trois moments de désillusion dans l’enfance et l’adolescence d’une jeune fille. Ce court métrage m’a particulièrement marqué car il explore des thèmes qui me tiennent à cœur.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
C’est un film qui serait un mélange de divertissement, de spectacle, d’audace, de créativité, de vision artistique, avec une thématique sociétale forte. Pour donner un exemple d’un film récent, je dirais que Parasite remplit toutes les cases de ce qui fait un grand film.
Pour voir Astel, rendez-vous aux séances de la compétition nationale F6.