Dîner avec Au circuit
Entretien avec Olivier van Malderghem, réalisateur de Au circuit
Pourquoi avez-vous choisi de tourner en noir et blanc ?
L’envie de ce film est née chez moi pendant un hiver rigoureux et sombre, lorsque je traversais le circuit désert. Les personnages et l’intrigue sont venus ensuite. Ce lieu, que j’avais photographié alors, révélait son caractère étrange et inquiétant lorsqu’il était vu en noir et blanc. En révélant les photos, j’ai tout de suite compris que le rythme (photo)graphique pouvait se marier avec les rythmes du récit (cycles, retours réguliers) et ceux de la musique (percussions africaines). J’ai donc opté pour le noir et blanc dès le début de la conception. Si le noir et blanc tend à disparaître des écrans, il reste en haute estime chez les photographes et les amateurs d’image fixe. Dont je suis ! Pour moi, en cinéma comme en photo, le noir et blanc est un merveilleux moyen d’expression.
Comment avez-vous travaillé sur la juxtaposition du discours du pilier de comptoir avec l’activité des jeunes ?
Dès la conception, j’envisageais de créer les alternances au montage. Je concevais donc le montage comme la structuration d’idées de séquences, sans que l’on puisse déterminer, à la lecture du scénario, quelles seraient leur place dans le film. Dans le dossier, elles avaient pour seul lien les agrafes de la reliure… C’est ce qui a rendu ce projet difficile à « vendre » aux commissions, qui souhaitent recevoir un scénario de type théâtral, aux antipodes de ce que je souhaite faire. Cette manière de réaliser m’a permis de tourner la totalité du film, à deux caméras, en un week-end, soit 7,5 minutes utiles/jour, le double de l’ordinaire. Et bien entendu, les « modèles », acteurs non-professionnels, ont vu leurs performances magnifiées, parce que rien, dans le dialogue, n’était indispensable. Nous n’en avons gardé que le « bon » : quand ils dépassaient leur stress et révélaient leur moi profond. Chose qui ne pouvait s’anticiper à l’écriture. Je crois pourtant à l’importance de la conception. Mais le media utilisé aujourd’hui, le texte littéraire appelé « scénario », n’a plus de raison d’être. En modernisant l’avant-projet conceptuel, il est possible de produire des films tels Au circuit, nettement moins chers et nettement meilleurs que ce que nous propose l’industrie (qui fait encore aujourd’hui de l’adaptation théâtrale).
En quoi l’univers de la moto vous intéressait-il ?
J’aime la moto comme moyen de déplacement pacifique, rapide et flexible. J’aime aussi ses accélérations fulgurantes. Je n’aime pas la compétition, le défi à la mort, toujours perdu, les prises de risque absurdes. Finalement, être motard et survivre, c’est une question d’éthique. Ça se mérite. Claude est donc, pour moi, un personnage positif qui un jour a pris le mauvais tournant. Avec la complicité d’Anne ? C’est toute la question !
Quelles sont vos références cinématographiques ?
J’aime les cinéastes sincères jusqu’au bout, sans concessions. La pression est aujourd’hui forte pour faire entrer les réalisateurs dans le rang : celui de la production sérielle, industrialisée. Tarkovsky, musical, poète, visuel à l’extrême, me sert de modèle.
Y a-t-il un court métrage qui vous a particulièrement marqué ?
Copy Shop de Virgil Wildrich. Parfait à tous égards.
Selon vous, qu’est-ce qui fait un bon film ?
Sa cohérence interne, qui peut aller jusqu’aux choix techniques, ou au mode de production. Sa liberté de ton, aussi. Liberté qui suppose que l’on s’émancipe de l’autorité tutélaire de la littérature, du roman-feuilleton, de l’académisme, du théâtre… Par ailleurs, un bon film présente les mêmes qualités formelles qu’une grande œuvre musicale. Chaque plan, chaque phrase musicale sont inventives, et pour cette raison se marient avec bonheur aux autres plans ou phrases musicales (qui le sont aussi). L’addition de ces éléments, au bon moment et au bon endroit, forme un tout simple, organique. Comme le disait Leibniz, « la simplicité des voies fait partie de l’excellence de l’ouvrage ». Un grand film est original et simple. Il ne sacrifie pas la simplicité à l’originalité, ni l’inverse, d’ailleurs.
Pour voir Au circuit, rendez-vous aux séances de la compétition labo L3.